FEVRIER 2014 - N°22

Prélèvements obligatoires : oui à la « règle de platine »

par André Babeau, économiste

Qui a dit : « nos dépenses publiques atteignent 57% de notre produit intérieur, en sommes-nous plus heureux ? ». Réponse : le chef de l’Etat « social-démocrate »… Le tout, explique André Babeau, est d’ouvrir au plus vite le chantier de mise aux normes de la France avec ses partenaires européens, soit 10 points de PIB à gagner sur nos dépenses publiques. Rude défi mais condition nécessaire à la sortie de la longue stagnation.


Faisant écho à la « règle d’or » d’équilibre des dépenses et des recettes publiques proposée par Nicolas Sarkozy, Frédéric Lefebvre, député UMP des Français de l’étranger et ex-ministre, a énoncé il y a quelque temps une « règle de platine » selon laquelle les prélèvements obligatoires en France ne devraient pas dépasser la moyenne européenne. On eût naturellement aimé que cette règle fût avancée par un autre Lefebvre, prénommé Dominique, député PS du Val d’Oise et co-auteur avec Karine Berger d’un rapport sur l’épargne dont on a beaucoup parlé. Après tout, le président lui-même a eu naguère un premier instant de lucidité, rappelons-nous : « Nos dépenses publiques atteignent 57% de notre produit intérieur, en sommes-nous plus heureux ? ». Il en a eu tout récemment un deuxième (et non pas, espérons-le un « second »), avec la nouvelle politique de l’offre et l’affirmation que la production devait précéder la redistribution (du DSK pur jus !) : la « règle de platine » ne pourrait-elle pas être à François Hollande ce que l’agenda 2010 a été à Gerhard Schröder ?

Cette règle mérite en effet considération. La moyenne des prélèvements obligatoires de l’Union européenne, comme d’ailleurs celle de la seule Zone euro, est actuellement proche de 40% du PIB des différents pays. Nous serons, quant à nous, à plus de 46% pour l’année en cours et les prévisions du gouvernement ne font état, en dépit d’hypothèses de croissance assez favorables, que d’une faible baisse en dessous de 46% en 2017. A partir de la situation actuelle, la « règle de platine » constitue donc bien un véritable challenge digne d’être relevé par un François Hollande, challenge dont il convient de bien mesurer les implications.

Sur le moyen terme, il faut bien sûr raisonner avec des recettes et des dépenses publiques en équilibre. S’agissant des recettes, aux prélèvements obligatoires de 40% on doit ajouter les prélèvements considérés comme « non obligatoires » (la redevance télévision, par exemple), les revenus des participations de l’Etat (dividendes perçus) et certaines autres ressources propres de l’Etat ou des collectivités locales, soit au total environ 6 à 7% du PIB, proportion que l’on peut considérer comme stable dans le temps. Dans l’hypothèse de la « règle de platine », les dépenses publiques à l’équilibre ne devront donc pas dépasser quelque 46 ou 47%. Nous en sommes à 57%. C’est donc 10 points de PIB que nous devons gagner sur nos dépenses publiques à un horizon qui pourrait être – à supposer que, même avec le quinquennat, un Président de la République française puisse s’attacher au long terme – celui de la décennie : un peu plus de 6 points au titre de la diminution des prélèvements et près de 4 points pour résorber l’actuel déficit.

A l’horizon de 2024, avec des hypothèses raisonnables de croissance et d’inflation, cet objectif n’est pas hors d’atteinte, mais au lieu de la faible croissance (hors inflation) des dépenses publiques que retient le gouvernement pour les prochaines années, c’est évidement d’une diminution qu’il faut parler pour les dix ans à venir.

Protection sociale, dépenses de l’Etat, dépenses des collectivités locales, l’effort demandé ne sera pas le même pour ces trois chapitres. En 2013, sur environ 1150 milliards de dépenses publiques, la part de la protection sociale était un peu inférieure à la moitié, celle des dépenses de l’Etat de l’ordre du tiers et celle des collectivités locales, proche du cinquième. Au titre de ces deux derniers postes, des économies sont certes indispensables, notamment en matière de dépenses de personnels (en activité ou en retraite) : il faudra procéder à plusieurs désindexations et, pour faire bonne mesure, ne pas exclure non plus celle du SMIC, très nécessaire pour regagner des parts de marché, pendant.

Les dérives de la protection sociale

Mais ce sont les charges liées à la protection sociale qui devront être réduites le plus fortement, à la fois parce qu’il s’agit du poste principal de dépenses et parce que leur évolution a été jusqu’à aujourd’hui le moins bien contrôlée. L’heure n’est plus ici aux économies de bouts de chandelle et la correction des « abus et excès » n’y suffira pas. C’est le modèle lui-même qu’il faut très probablement modifier et, avec lui en particulier, une conception de l’universalité de près de 70 ans d’âge. Famille, santé, chômage, au-delà d’économies rendues possibles par des contrôles appropriés dans chacun de ces trois « risques », les ménages aisés devront sans doute, comme en Allemagne, faire l’objet de couvertures plus mesurées. Ces contribuables de premier rang seront dédommagés par le net reflux des prélèvements qui devra accompagner celui des dépenses. Qui veut la fin veut les moyens.

Les patrimoines devront alors, de leur côté, être considérés comme légitimes – ce qu’ils ne sont pas encore totalement aujourd’hui dans notre inconscient collectif – et affectés à des objectifs qui peuvent être la jouissance, la précaution ou la transmission, mais aussi la contribution au financement de l’économie.

La baisse des prélèvements (fiscaux, sociaux) – qui facilitera l’accumulation de ces patrimoines – se proposera, quant à elle, deux objectifs principaux, l’un à l’autre liés : faciliter le redémarrage des investissements et renforcer la compétitivité de notre économie pour pouvoir enfin assurer, par la baisse du chômage, la reprise du pouvoir d’achat à partir des revenus d’activité et non plus, comme cela a été le cas depuis des décennies, par la croissance des prestations.

Un tel changement exigera beaucoup de pédagogie et un rare courage politique de la part de l’actuel Président de la République… ou du suivant. Sans abuser de Comités Théodule, il devra cependant bien évidemment être précédé d’études préalables pour en chiffrer les conséquences en matière d’efficacité et d’équité. Il s’agit là, sans doute, de la seule alternative réaliste à une longue stagnation qui accélérerait le recul de notre pays par rapport à l’ensemble des économies émergentes.

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