FEVRIER 2014 - N°22

Premiers pas d’un professeur dans le monde des cours virtuels

par Olivier Babeau, Université Paris VIII Vincennes Saint Denis

Deux mondes, deux modes de relation avec l’étudiant. D’un côté le « présentiel », mot très laid utilisé aujourd’hui pour désigner la présence physique de l’étudiant á l’école ou á l’université. De l’autre, le « virtuel », champ nouveau de la transmission du savoir qui amène le corps enseignant á redéfinir ses missions et ses méthodes.


MOOC. L’acronyme ne semble ni séduisant ni sérieux. Pourtant il constitue pour l’enseignement supérieur l’événement majeur de cette décennie, et peut-être même des suivantes. Le numérique n’a pas seulement influencé notre façon de faire cours en amphithéâtre, il est en train de bouleverser la forme et le contenu même de cet enseignement - l’une étant quoiqu’on en dise liée á l’autre. Au sens strict, le Massive Online Open Course désigne le fait de diffuser gratuitement un grand nombre de cours. L’idée de dématérialiser l’enseignement ne passionne pas seulement les universités et les grandes écoles parce qu’elles y voient une façon de toucher un public plus nombreux, de démocratiser le savoir et de paraître « á la page ». De façon beaucoup plus prosaïque, elles y voient une opportunité inespérée de régler enfin le problème endémique du manque de salles de cours, conséquence d’une massification de l’enseignement universitaire elle-même mécaniquement produite par la transformation du baccalauréat en quasi droit-créance pour tout lycéen.

L’université á laquelle j’ai l’honneur d’appartenir se lance depuis la rentrée 2013 dans l’expérience : plutôt que d’un MOOC au sens strict, il s’agit pour l’instant pour elle de proposer que certains cours soient dématérialisés. A l’heure dite, plutôt que de se déplacer sur le campus, les étudiants se connectent via une plateforme pour suivre en direct l’enseignement du professeur. Sollicité pour faire partie des explorateurs de ce nouveau monde, je donne depuis plusieurs semaines un même cours sous les deux formes : d’abord en « virtuel », et le lendemain en « présentiel » - terme particulièrement laid mais pour l’instant il ne s’en est pas trouvé d’autre. Voici quelques impressions et réflexions nées de cette première expérience.

Les premières heures furent particulièrement déstabilisantes. Habitué depuis près de quinze ans á me trouver en face d’étudiants, ma solitude face á mon ordinateur et á ma webcam était troublante. Les réflexes les plus basiques se heurtent á la limitation de l’outil, et je me retrouve á utiliser le tableau de ma fille (deux ans) pour montrer tant bien que mal un schéma explicatif... J’ai pu me rendre compte combien en pratique la présence physique des étudiants constituait une caisse de résonance utile au discours, les réactions des étudiants, comprises á travers mille petits signes, guidant le propos, motivant des variations de rythme et bien souvent encourageant á l’introduction de telle ou telle anecdote pour récréer un auditoire fatigué. Devant l’ordinateur, aucun signe ou presque de la présence d’étudiants : aucun retour audio ni aucune image. Ils peuvent certes poser des questions, mais ils le font par écrit via une interface de clavardage. Comment alors ne pas avoir l’impression quelque peu pénible de conduire, trois heures (!) durant, un soliloque un peu absurde ? J’imagine fort bien, connaissant la capacité de nos jeunes gens et jeunes filles á penser ou faire autre chose lorsqu’ils sont en classe, que bien peu sont entièrement concentrés sur mon propos et les slides de ma présentation. Clavardage parallèle, consultation de sites en ligne - au premier rang desquels l’inévitable Facebook -, discussion au téléphone voire activité domestique, je ne deviens que l’animateur marginal d’un show forcément ennuyeux, placé en concurrence avec l’infini des autres sollicitations. Et d’ailleurs comment les en blâmer, tant l’époque ne favorise plus comme autrefois la concentration prolongée ?

Apprentissage de l’interaction

Et pourtant, au bout de quelque temps, je dois dire que le caractère étrange de la situation disparaît. L’interaction finit par se créer, et même cette sorte de complicité qui apparaît lorsque des heures de dialogues font apparaître le sentiment d’une expérience partagée. Indéniablement, un collectif numérique est lá. A mon grand étonnement, je me rends compte que je progresse finalement á la même vitesse et que je suis dans le même état d’esprit lors des deux séances. Je goûte peut-être même plus la séance virtuelle, car elle réduit l’acte d’enseignement á l’essentiel - l’effort de transmission d’un savoir qui se construit aussi á chaque formulation, un échange dans le logos - tout en nous épargnant á tous le cortège pénible des contraintes matérielles : transports publics toujours saturés faisant perdre un temps considérable, salles parfois malcommodes, sous-dimensionnées et mal équipées, etc. L’avenir me dira si les résultats obtenus par les deux groupes sont comparables, indiquant ainsi l’effet respectif des deux modes d’enseignement.

Pour l’heure, j’entrevois les conséquences immenses des cours en ligne et toutes les questions que leur développement pose : si pour l’instant le cours n’est pas enregistré, il devrait finir par l’être, qu’adviendra-t-il alors de l’interactivité minimale qui maintient l’impression d’un dialogue lorsque chacun pourra se contenter de visionner l’enregistrement á l’heure qui lui convient le mieux ? Le vrai MOOC se consomme comme n’importe quelle vidéo, mais justement les autres vidéos se regardent de façon passive : l’étudiant saura-t-il adopter l’attitude active qu’il est censé avoir en cours ? Pourquoi recommencer le cours s’il a été enregistré une année et qu’il n’a pas á être actualisé tous les ans ? Jusqu’où supprimer l’obligation de présence physique des étudiants, et avec quelles conséquences sur l’apprentissage ?

En permettant de multiplier á l’infini le nombre d’étudiants pour un professeur, les cours en ligne n’induisent-ils pas á terme une baisse du nombre d’enseignants dont les universités désormais gestionnaires de leur masse salariale seraient heureuses ? Le statut du professeur, et en particulier son sacro-saint service d’enseignement de 192 heures « équivalent TD » ne devront-ils pas changer en profondeur pour prendre en compte les nouvelles façons d’enseigner et le nouveau contenu effectif des charges d’enseignement ? Dans quelle mesure la possibilité pour les universités et grandes écoles de s’affranchir de toute contrainte spatiale en devenant des marques déclinables partout dans le monde va-t-elle reconfigurer le paysage concurrentiel de l’enseignement supérieur ? Autrement dit, les universités les moins attractives ne vont-elles pas perdre leur public au profit des plus prestigieuses ?

Finalement, l’avènement des MOOC constitue surtout l’opportunité pour le milieu académique de reposer les questions de ses finalités - á quoi servons-nous ? Quels doivent être nos objectifs ? - et de ses modes de fonctionnement. Le numérique a cela de merveilleux qu’il n’a cure des justifications institutionnelles de confort, se rie des arrangements routiniers et replace l’intérêt du consommateur final au centre du jeu. C’est tout ce que l’on peut souhaiter á nos universités.

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