FEVRIER 2014 - N°22

Hauts et bas de la révolution des MOOCs

Il y a trois ans à peine, la rumeur publique annonçait une révolution. Les MOOCs - Massive Open Online Courses - allaient rétablir l’égalité des chances en matière de transmission du savoir et d’apprentissage partout dans le monde. Aujourd’hui, l’enthousiasme est retombé mais quelque chose est bien en train de se produire. L’Ecole de Paris a organisé le 27 janvier 2014 une soirée débat sur le thème : « Les MOOCs, et après ? ». Trois témoignages.

Philippe Durance, professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers

De l’enthousiasme excessif en 2010-2011 au discours injustement catastrophiste en 2014. La jeune histoire des MOOCs commence sous le signe des envolées lyriques et se poursuit sous le signe des explications musclées. Pour le grand public, tout commence par un emballement médiatique autour d’une initiative de Sebastian Thrun, allemand d’origine, professeur d’informatique à Stanford, fondateur d’Udacity et conseil de Google. Thrun décide de mettre son cours d’intelligence artificielle en ligne et il a la surprise d’enregistrer 50.000 inscriptions en provenance du monde entier. Ce succès donne des idées au « New-York Times » qui raconte l’événement dans ses colonnes. Aussitôt, le nombre des inscrits bondit à 160.000, dix fois le nombre des étudiants de Stanford. Les réseaux sociaux bourdonnent alors de commentaires sur les victoires futures de l’éducation gratuite pour tous, partout dans le monde. Au même moment, les réseaux sociaux bourdonnent de commentaires sur l’originalité grandissante des programmes en ligne. Tels par exemple les programmes philanthropiques soutenus par l’acteur indien Salman Khan, agrémentés de vidéos accessibles sur YouTube.

Trois caractéristiques

Polémique ou pas, l’avenir des MOOCs est assuré. Ce sont de vrais cours en ligne sous des formats modulaires et exploitant toutes les ressources du multimédia et de l’interactivité que permet internet. Ils sont gratuits et ouverts à tous. Pas de sélection, pas de droits d’inscription. Ils s’adressent aux masses : un professeur ayant un peu d’ancienneté a plus d’élèves en un seul cours que la totalité de ceux qu’il a côtoyés dans toute sa vie.

Quelles sont les limites du modèle ? Le rêve de la démocratisation de l’enseignement à l’échelle mondiale s’est quelque peu évanoui à la suite de la publication dans la revue « Nature » d’une étude sur les étudiants des programmes de MOOCs. Surprise ! On y découvre qu’ils appartiennent en majorité à la catégorie des étudiants les mieux formés et les plus fortunés.

Autre élément à prendre en compte : la forte proportion d’abandons en cours de route. Les inscriptions massives se transforment au fil du temps en des participations réelles beaucoup plus restreintes. Harvard et le MIT constatent que 5% seulement des inscrits se soumettent à l’examen final prévu dans leurs modules d’enseignement. Mais quand 5% signifient que 40.000 étudiants suivent l’intégralité d’un cursus - ce qui s’observe pour les programmes les plus prisés - on comprend bien qu’en dépit de toutes les critiques, les MOOCs ont une puissance de frappe sans égale.

Dominique Boullier, professeur coordonnateur scientifique du médialab à Sciences Po Paris

La numérisation de l’enseignement est une vieille histoire. On y travaille depuis 25 ans. Depuis quinze ans, les plates-formes de e-learning se sont multipliées. Mais depuis 6 ans, avec les MOOCs, l’enseignement en ligne est enfin devenu un vrai sujet de mobilisation du corps enseignant. Les cours en ligne ont longtemps été d’ennuyeuses reproductions de cours magistraux. Et si aujourd’hui, beaucoup d’enseignants figurent parmi les inscrits des meilleurs programmes internationaux, c’est parce que à leur tour, ils veulent s’initier aux nouveaux langages, aux nouveaux outils pédagogiques. Un apprentissage qui transforme et enrichit le métier d’enseignant.

    - Nouvelle définition de ce que l’on appelle un « cours », un module d’enseignement. L’idée du découpage en « grains » articulés avec d’autres grains.

    - Scénarisation aussi poussée que possible des programmes afin de capter l’attention des étudiants. Recours à tous les instruments de la communication multimédia : production de vidéos, jeux de rôle, ressorts d’émotion, combinaison de séquences de styles opposés etc. Cela signifie mobilisation d’équipes polyvalentes.

    - Découverte de publics nouveaux. Les MOOCs rassemblent des publics qui peuvent paraître hétérogènes mais qui élargissent le regard de l’enseignant sur le monde.

Trois données à prendre en compte

    1- Le succès des MOOCs est une conséquence inattendue de la crise de financement des universités américaines. Celles-ci ont vu les crédits publics chuter de 50% en 20 ans. Les droits d’inscription atteignent des sommets ce qui a entraîné la formation d’une bulle d’endettement étudiant sans précédent. Beaucoup de jeunes renoncent à accéder à l’université. C’est pourquoi ils se retournent vers les plates-formes gratuites.

    2- Il est faux de dire que la France est en retard, compte tenu du fait que le phénomène des MOOCs n’a guère que cinq ou six ans d’âge ! La tentation française d’imiter tout de suite ce qui se passe aux Etats-Unis est à la fois stupide et contre-productive. La France doit inventer son propre modèle.

    3- La recherche de l’effet de masse ne peut pas être l’objectif prioritaire d’un MOOC. Autant il est légitime pour une université de partir à la conquête de nouveaux publics autant il importe de le faire en ciblant son offre et en adaptant sa pédagogie. Au risque d’un échec rapide, l’objectif ne peut pas être de livrer des productions banales pour des publics indifférenciés. Il est au contraire de préparer une offre « incarnée » à l’intention d’étudiants, de salariés ou d’entrepreneurs qui cherchent à s’armer pour leur combat dans la vie réelle.

Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation internet nouvelle génération

De l’e-learning aux MOOCs, nous vivons la continuité d’une histoire avec ses hauts et ses bas comme le raconte l’impertinente Audrey Watters sur son site (hackeducation.com).

L’enseignement supérieur vit des moments de trouble dans le monde entier mais aussi des moments fondateurs :

    - toutes les universités ont des problèmes de financement ce qui remet en cause leurs modèles économiques ; entre les universités, les écoles et les géants Google, Facebook, Yahoo ou Amazon les grands arbitrages de business sont encore à venir ;

    - le petit groupe des universités les plus prestigieuses dans le monde se livre à une concurrence déchaînée ;

    - les grandes institutions américaines pratiquent des stratégies de préemption quel qu’en soit le prix ;

    - les MOOCs sont un domino dans un jeu beaucoup plus large qui concerne l’ensemble des mondes de l’éducation et de la communication. La boîte de Pandore est ouverte.

Facteur positif : nous vivons un moment d’intense créativité en matière de pédagogie. On sent partout l’envie d’une complète remise à plat des méthodes, des procédures, des formats. On s’interroge sur l’acte d’enseigner, l’acte de transmettre, l’acte d’apprendre, l’acte de partager dans un lieu « physique » dédié ou au travers de la galaxie numérique. On cherche autant à réinventer l’enseignement « résidentiel » - dans les murs de l’université - qu’à imaginer des formules collaboratives pour les étudiants inscrits aux cours en ligne. L’enseignement supérieur sort d’un modèle séculaire.

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