FEVRIER 2014 - N°22

Instabilité fiscale : mouches et coûts cachés...

par Nicolas Mottis

L’EBE, l’excédent brut d’exploitation, a été l’objet d’une controverse franco-française médiocrement savoureuse il y a quelques mois. Pour les entreprises, la doctrine fiscale de notre pays a un double problème de crédibilité et de stabilité. Les entreprises françaises sont bien obligées de faire avec. Les entreprises étrangères elles, stigmatisent la destination France.


« Le pare-brise plein de mouches écrasées est toujours plus sale que le rétroviseur, mais on ne conduit pas en regardant le rétroviseur »... Bien connue des praticiens du management et de la conception de tableaux de bord, cette formule résonne fortement avec la situation de notre économie. Illustrons.

L’EBE Net ou pas Net ? Vu des entreprises, le message fiscal officiel actuel semble assez clair : « la pression n’augmentera plus sur vous, le gros a été fait, les efforts porteront maintenant sur les réductions de coûts et les particuliers (aisés) ». C’est séduisant pour tout dirigeant jonglant avec une demande stagnante et des structures de coûts souvent assez rigides. Mais une grosse mouche vient de s’écraser sur le pare-brise : une nouvelle base d’imposition pour les entreprises est créée « l’Excédent Brut d’Exploitation ». Le clin d’œil dans le rétroviseur suggère qu’une nouvelle base c’est jamais un bon présage. On commence avec un taux faible puis, avec les « Monsieur Petit Plus », quelques années plus tard l’assiette finit bien chargée. Le problème en fait c’est surtout la deuxième grosse mouche : « on vient de corriger, ce sera en fait l’EBE Net, mais avec un taux plus élevé». Pourquoi ? Pour ne pas « finalement désavantager ceux qui investissent ». Sans blague ? Et là on se dit que si un détail aussi anodin a été sous-estimé au moment où l’idée a été avancée, on a une puissance publique qui a un vrai besoin de stage en entreprise. Gros doute sur la crédibilité de la doctrine fiscale et sa stabilité future. Enorme coût caché.

Le brouillard de la feuille de paie

L’énarque et les feuilles de paie... Une discussion avec un ancien étudiant, passé ensuite par l’ENA, et ayant aidé un entrepreneur de sa famille à faire les feuilles de paie des salariés de sa TPE pendant des années: « on a eu un contrôle URSSAF récemment, sur les 150 bulletins de paie que j’avais préparés, savez-vous combien étaient justes ? » « Euh... non, disons 50% ? »... « Non, aucune ! Mais heureusement, comme il y avait autant d’erreurs en notre défaveur, qu’en notre faveur, on n’a pas été redressé. » Quelques mouches dans l’œil permettent d’éliminer d’emblée l’hypothèse de la responsabilité du système de formation. En fait, du citoyen de base à l’expert-comptable, gérer des bulletins de paie en France est juste un défi. Si on regarde dans le rétroviseur les taux appliqués et toutes les lignes sur les bulletins passés, on risque la sortie de route, c’est écrit tellement petit qu’il faut se pencher pour lire. Surtout, en regardant devant, on ne compte plus les mouches et autres bourdons qui viennent s’écraser sur le pare-brise pour changer les règles, les lignes, les taux, etc. Alors difficile de tracer sa route, ce qui conduit plutôt à freiner quand on pense recruter. Gros coût caché. Le coût horaire du travail calculé par quelques statisticiens n’est qu’une partie « visible » du problème.

Recruter en France ? Le poids du thème de l’expatriation fiscale a été frappant dans le débat politico-économique récent. Si on ne peut pas mesurer, on ne peut pas manager (paraît-il). Alors un point clé du débat a été la demande de mesures précises du phénomène par les services de l’Etat. Conclusion: c’est un phénomène mineur. A la limite peu importe. Quiconque travaille aujourd’hui avec des entreprises constate au moins deux choses: pour la plupart des françaises le phénomène est limité, peu de cadres ou dirigeants partent. Et pour les profils qualifiés, le siège étant en France, beaucoup de recrutements y restent localisés. Pour les entreprises étrangères c’est une autre histoire : opérer en Europe avec des filiales dans différents pays conduit de façon quasi-systématique à favoriser à tout prix les recrutements en Allemagne ou au Royaume-Uni par exemple, y compris pour des profils moyennement qualifiés, et à éviter la France. C’est plus difficile à mesurer. Mais ce coût, s’il est caché, est énorme. Comment chiffrer une non-décision ? En entreprise on a du mal, mais chacun sait que quand certaines choses ne sont pas faites elles finissent par coûter beaucoup.

Pour avoir étudié et travaillé dans de nombreux pays, les atouts de notre pays apparaissent évidents. Le problème avec les étrangers est qu’ils ont souvent du mal à saisir notre génie alors qu’il n’y a qu’à regarder dans le rétroviseur : mais oui, il est arrivé que nous ayons raison avant tout le monde ! Et lorsqu’ils regardent devant avec nous, on leur envoie un sacré paquet de mouches sur leur pare-brise. Or en management on sait bien que les coûts cachés sont souvent très supérieurs aux coûts mesurés et que faire simple est certes compliqué... mais ça rapporte beaucoup. Arrêtons donc d’essayer de leur faire croire que la meilleure façon de conduire est d’être assis dans le coffre... parce que de là le pare-brise est trop loin pour qu’on y distingue encore les mouches !

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