FÉVRIER et MARS 2015 - N°25

Profession journaliste : retour sur les fondamentaux du métier

par Emile Favard, ancien rédacteur en chef des « Echos » et fondateur de la Lettre « Gestion Sociale »

Pour beaucoup de journalistes, le basculement dans le numérique a été vécu comme une occasion de réfléchir aux règles intangibles du métier. Emile Favard, pur produit d’une génération de rédacteurs en chef, en a connu toutes les facettes. Diplômé de l’Ecole de journalisme de Lille, il a débuté dans la presse locale avant une carrière qui allait le mener à « L’Expansion » puis aux « Echos ».


Je me souviens qu’au sortir de l’Ecole de journalisme de Lille, j’étais profondément heureux de faire mes premiers pas à « la locale » au contact direct des gens ; puis, dans une autre région, de me spécialiser, sur le terrain, dans « les infos éco-soc ». Je me souviens qu’au coeur de l’exercice de mon métier, j’ai été encore et encore profondément heureux de faire des reportages, d’écrire des portraits d’acteurs de la vie politique et économique, de pratiquer le management d’équipes rédactionnelles, dans un magazine puis dans un quotidien économique.

Le journalisme est un métier de service. On pourrait dire la même chose de l’élu politique, du médecin et du cheminot. Ils servent la collectivité humaine, son vivre ensemble, sa santé, ses mouvements. Le journaliste, lui, rassemble les informations indispensables à la cohabitation des humains et à l’exercice démocratique.
En ces temps où l’individualisme a pris tant de place, dans un monde où les distances s’effacent de plus en plus, la connaissance de la vie des autres revêt une importance toute particulière. Je reconnais que cette caractéristique du job requiert pas mal d’humilité. Car les journalistes ne sont que des passeurs de faits et de sens.

Le journalisme est un métier de travail. Ce constat tient de la banalité, encore que je veux préciser que la charge de boulot ne baisse pas avec le temps, ni avec l’expérience, ni avec la fonction. Céder à la tentation de la facilité est une dérive funeste, une menace permanente. Interviewer exige un gros travail préalable ; expliquer une situation ou un problème nécessite une immersion dans un dossier et une solide documentation ; écrire clair pour être lu ou écouté appelle des ratures et des réécritures laborieuses.

La vie quotidienne est complexité ; or les lecteurs et les auditeurs attendent un éclairage judicieux et un récit limpide. Quand on sait que l’exactitude se nourrit davantage de nuances que de simplismes, on imagine le labeur réel des artisans de la plume.

C’est dire que le métier porte en lui même un inconvénient lourd : il prend la tête en permanence et - hors vacances - c’est vraiment fatigant ! En retour, il promet une gratification forte, celle d’apporter une contribution essentielle au vivre ensemble.

Le journalisme est un métier de règles ; ce qui me conduit à faire un petit retour à l’école. Ces règles sont deux : d’une part, des réponses aux cinq questions de base de toute information - qui ou quoi ? quand ? où ? comment ? et pourquoi ? -, d’autre part, une hiérarchisation réfléchie des sujets contenus dans le journal. On ne badine pas avec ces fondamentaux du journalisme.

A propos d’un événement, on ne fait pas place aux commentaires - ceux de l’expert et ceux de la rue - avant de l’avoir raconté avec exactitude et expliqué avec rigueur. On classe les sujets et on leur accorde des surfaces moins sur la valorisation de l’émotion qu’en appréciant l’importance de l’événement, son originalité et ses conséquences. La hiérarchisation ne saurait se soumettre aux espérances d’audimat ; elle résulte d’une prise de responsabilité assumée par les journalistes, sous l’autorité de leur rédacteur en chef.

Le journalisme est aussi un métier d’indépendance et de liberté ; dont, assurément, il convient de faire bon usage. Notre profession bénéficie d’un bel héritage de l’Histoire : ni sous le joug d’un régime politique autoritaire, ni mains liées par des pouvoirs financiers abusifs.

J’ai eu la chance d’exercer mon métier dans un contexte favorable à l’indépendance de pensée et à la liberté d’expression. En ces domaines, je reconnais volontiers que notre génération a connu de meilleures conditions de travail qu’aujourd’hui. Avec davantage de moyens, moins de pression de l’immédiateté et sans le voisinage perturbant des réseaux sociaux. Ceux-ci mettent de l’électricité dans l’air, survalorisent des sujets et accélèrent des rythmes susceptibles de provoquer des emballements médiatiques. Le temps long, celui de la réflexion, disparaît désormais au bénéfice d’une instantanéité permanente, qui rend impossible l’examen de la complexité du réel.

En outre, les propriétaires des entreprises de presse, affectés par le recul des recettes publicitaires et des ventes en kiosques, ont réduit les effectifs à l’excès. Cela conduit malheureusement les consoeurs et les confrères à travailler dans la précipitation, pour penser les sujets, enquêter et écrire.

A notre « belle époque », nous avons eu les moyens de mener des enquêtes minutieuses, l’investigation étant quasiment notre quotidien. Cela nous protégeait du journalisme moutonnier, celui où les pros empruntent les uns aux autres, voire se copient et se répètent en boucle. L’indépendance et la liberté ont un coût, élevé ; s’en exonérer risque de conduire à la dévaluation de notre métier.

Le journalisme est, enfin, un métier de curiosité. Ce disant, je résume en un mot les quatre constats précédents. Une curiosité permanente de savoir et de comprendre ; de connaître la dynamique des entreprises, les conditions de vie des marginaux, la psychologie et les projets des dirigeants, les tensions du monde, etc. etc. Une curiosité sans frontières, sans tabous, sans a priori, sans conformité obligée à une pensée unique, sans ralliement à une mode. La curiosité du pourquoi ; une curiosité insatiable, une curiosité gigogne...

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