JUIN 2013 - N°20

La croissance, l’Etat et les entrepreneurs

par François Ecalle, économiste (Université Paris I)

La France n’a plus le choix. L’Etat n’a plus les moyens d’être un moteur de la croissance. Le seul moteur disponible est désormais entre les mains de l’entrepreneur, analyse François Ecalle. Notre pays se caractérise par une très faible croissance de son PIB par habitant, ce qui interdit d’augmenter à la fois le pouvoir d’achat et les dépenses publiques, sauf à choisir la voie insoutenable de l’endettement. La nécessaire augmentation de la productivité des actifs dépend désormais avant tout de l’entreprise.


Dans son Etude économique sur la France de mars 2013, l’OCDE rappelle que le taux de croissance du PIB par habitant au cours des 30 dernières années y est particulièrement faible. Il se situe au 31ème rang parmi les 34 pays pris en compte (avec toutefois deux grands pays derrière nous : Italie et Japon).

Taux de croissance du PIB par habitant de 1990 à 2011 (%)
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La croissance du PIB par habitant n’est certes pas le Graal de toute politique économique et le rapport de 2009 de Stiglitz, Sen et Fitoussi a rappelé, une nouvelle fois, les limites de cet indicateur. Il est toutefois essentiel pour comprendre l’évolution des finances publiques, ce qui est trop souvent oublié.

Les prélèvements obligatoires ne sont pas assis sur le « bonheur brut » ou la qualité de notre environnement, mais sur des flux monétaires qui constituent les principales composantes du PIB (les salaires versés, les bénéfices des entreprises…) ou ses principaux modes d’utilisation (la consommation des ménages notamment). En moyenne, sur plusieurs années, la croissance des recettes publiques est ainsi égale à celle du PIB (on dit que leur élasticité au PIB est unitaire).

Ces prélèvements obligatoires financent le fonctionnement des services publics et assurent des revenus à ceux qui ne travaillent pas (retraités, malades, chômeurs) ou complètent ceux des autres (familles nombreuses…). Or le volume des services publics nécessaires et des revenus de remplacement ou de complément dépend pour une bonne part du nombre d’habitants. La croissance des dépenses publiques, à politique inchangée, est donc assez largement déterminée par les évolutions démographiques.

La création annuelle de richesse, que constitue le PIB, doit permettre à la fois de rémunérer les facteurs de production de cette richesse, travail et capital, et de financer les dépenses publiques. Si le PIB par habitant n’augmente pas, ou quasiment pas comme en France, il faut soit que les rémunérations par tête ne croissent pas1, soit que les dépenses publiques par habitant soient revues à la baisse. La France n’a jamais choisi entre ces deux solutions et, par défaut, en a retenu de fait une troisième qui est insoutenable à long terme : la rémunération des facteurs de production et les dépenses publiques ont continué, à la fois, à augmenter, mais ces dernières ont été financées par l’endettement.

Il existe heureusement une quatrième solution, bien plus satisfaisante que les trois précédentes : augmenter plus fortement la production par habitant. La faiblesse de sa croissance en France ne résulte pas d’une structure démographique spécialement défavorable qui serait, par exemple, caractérisée par une progression particulièrement forte de la population totale rapportée à la population d’âge actif (15 à 64 ans). Le classement de la France est quasiment identique au regard des taux de croissance du PIB par personne d’âge actif ou par habitant.

Si le taux d’activité des plus jeunes (15 à 24 ans) et des plus anciens (55 à 64 ans) est plus faible en France que dans les autres pays de l’OCDE, celui de la tranche d’âge intermédiaire (25 à 54 ans) y est en effet plus élevé.

L’enjeu central est donc d’augmenter la productivité de la population d’âge actif.

Les gains de productivité peuvent avoir de multiples sources : la formation initiale et professionnelle, le progrès technique, la réorganisation des modes de production, etc. Les analyses économiques montrent que leur source principale diffère fondamentalement selon le degré de développement d’un pays. Dans les pays en retard de développement, comme l’était l’Europe par rapport aux Etats-Unis pendant les Trente Glorieuses, ils résultent d’un rattrapage technologique des pays avancés, souvent guidé par l’Etat, accompagné par une élévation du niveau de qualification.

Dans les pays avancés, comme la France aujourd’hui, les gains de productivité résultent beaucoup plus de l’innovation et d’un mouvement schumpétérien de destruction créatrice. Ils ne peuvent reposer que sur l’esprit d’entreprise, la liberté d’entreprendre et l’incitation, fiscale en particulier, à la prise de risque.

Le moteur de la croissance n’est plus l’Etat, qui certes gardera toujours de nombreuses fonctions essentielles, mais l’entrepreneur. Si les « trente piteuses » ont suivi les Trente Glorieuses en France, c’est probablement parce que nous n’avons pas su changer de modèle de croissance.


1 Entendues en termes « réels », c’est-à-dire de pouvoir d’achat, comme le PIB ou les dépenses publiques dans cet article.

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