Juin 2014 - N°23

Faut-il craindre le « e-everything » ?

par Jean-Luc Girot, président de Pereire Consulting

Les innovations du XIXème siècle et du XXème siècle ont modifié le cours de l’Humanité. Celles de ce début de XXIème siècle sont numériques. Comme on a pu le voir au cours des deux siècles précédents, elles inspirent tout à la fois des craintes et des espoirs. Jean-Luc Girot pense qu’une fois encore, il importe de dédramatiser l’inéluctable. Ce sont les humains qui détiennent les clés du bien et du mal, pas les machines.


Le 25 août 1837, Louis-Philippe, Roi des Français, inaugurait la première ligne de chemin de fer, édifiée par Emile Pereire entre Paris et St Germain-en-Laye. A la dernière minute, le gouvernement en place considéra qu’il était trop dangereux de faire voyager le Roi dans cette curieuse machine et il fut décidé d’y envoyer… son épouse et ses fils. Fort heureusement pour ces derniers, le voyage se déroula sans encombre et chacun parvint à bon port, sain et sauf. 177 ans plus tard, 3 millions de nos compatriotes circulent chaque jour en train dans notre pays, et certains à une allure parfaitement inconcevable en 1837. C’est dire si cette invention était majeure, tout le monde aujourd’hui en conviendra.

Des innovations majeures, il ne cessera d’en naître tout au long du siècle suivant, captivantes par leur audace, mais inquiétantes aussi pour leurs contemporains. De ce point de vue, rien n’a changé ; le XXIe siècle apporte également son lot d’innovations, qui sont ni plus ni moins aussi captivantes et inquiétantes que leurs illustres ainées.

Les innovations de ce début de millénaire sont numériques. L’innovation, c’est l’exploitation de l’information, sa diffusion, sa maîtrise. L’ancien PDG de Google, Eric Schmidt, estimait en 2010 que nous produisions tous les deux jours environ 5 exaoctets (1 Eo représente 1018 octets) d’informations… soit autant qu’entre le début de la culture humaine et 2003 !

D’où-vient l’explosion du volume de l’information et à quoi sert-elle ?

Nous, les humains, sommes les premiers producteurs et consommateurs de cette nouvelle richesse. Internet est devenu en une décennie une source intarissable d’information. Nous y stockons tout notre savoir et le mettons à disposition de nos contemporains, sous la forme d’un texte, d’une image, d’une vidéo. Une crevaison sur la route ? Un didacticiel disponible sur internet montrera la marche à suivre pour remplacer la roue du véhicule, en prenant en compte les spécificités de sa marque ! Rechercher une recette de cuisine, visiter un musée à distance, connaître la force du vent à Quimper en temps réel ? Tout est disponible sur Internet et la toile n’oublie rien.

A cela s’ajoute la production de nos inventions : le « machine to machine », ou l’internet des objets. La malheureuse épopée du vol MH370 de Malaysia Airlines a appris au grand public, qu’au- delà des informations strictement nécessaires à la gestion du trafic aérien, d’autres informations étaient adressées en catimini aux avionneurs et aux motoristes. Toutes ces données sont stockées, analysées à des fins d’amélioration de la fiabilité des produits et de la maîtrise de la sécurité des vols. Dans un autre domaine, les banques collectent également des informations pour les aider, par exemple, à détecter les fraudes à la carte bancaire : le montant prélevé est comparé aux habitudes de consommation, la situation géographique du retrait est comparée à la dernière position connue.

Autre exemple : demain, les automobiles seront informées par les feux tricolores des carrefours de l’état du trafic. Le déclenchement d’un airbag enverra un message aux secours, en géolocalisant l’accident.

Faut-il craindre les données ? Big Brother existe-t-il ?

Tout d’abord, un paradoxe. Chacun se méfie énormément de certaines données sensibles comme celles issues de la géolocalisation des téléphones mobiles, qui ne sont dans les faits accessibles que sous le contrôle d’un juge, et par conséquent sont relativement difficiles à exploiter et, dans le même temps, tout à chacun publie sur les réseaux sociaux des informations personnelles bien plus critiques.

En effet, divulguées à tort et à travers, les données personnelles peuvent tomber dans de mauvaises mains. Dans ce domaine, le risque le plus important est l’usurpation d’identité. Pour obtenir une carte d’identité, il est demandé par l’administration de produire un extrait d’acte de naissance, qu’il est possible de se procurer sur internet, avec sa date de naissance et le nom patronymique de ses parents. Le mal n’est pas là où on croit.

Il faut dé-diaboliser l’information et éduquer les usagers.

A l’instar du chemin de fer au XIXe siècle, l’information doit être maîtrisée par nos contemporains. Inutile de la craindre, il faut la comprendre et l’utiliser à bon escient, pour tous les avantages qu’elle procure. Et s’il existe bien un revers à la médaille, à nous d’être vigilant en contrôlant l’information qu’on rend publique et cessons de stigmatiser le progrès.

Ne délaissons pas la valeur ajoutée et l’énorme potentiel de l’information. Le développement du « e-everything » est inéluctable, il fait désormais partie de notre quotidien, ne nous en privons pas.

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