Juin 2014 - N°23

L’ e-révolution va-t-elle dévorer ses enfants ?

par Michel Rouger, président de l’institut Presaje

Hier la menace nucléaire, aujourd'hui les robots et le vertige des algorithmes. La révolution numérique alimente les fantasmes. Les Big Datas annoncent-elles des pluies fertilisantes ou des grêles destructrices sur l'Humanité ? Michel Rouger pense que l'e-révolution produit tout à la fois des poisons et leur antidote. L'important est que le droit et la justice ne soient pas tenus à distance des conquêtes de Prométhée.


L'e-révolution va-telle dévorer ses enfants ? Probable, disent des chercheurs qui réfléchissent à l'évolution future de l’être humain, en exprimant une « e-inquiétude » sur les développements de la révolution numérique, qui propose à son cerveau les services que le machinisme industriel a offert à son corps, pour en démultiplier la puissance, pour le meilleur, comme pour le pire.

Ces personnalités sont issues des secteurs dans lesquels les technologies à l’imagination galopante prospèrent : santé, économie, finance, échanges. L’une d’entre elles, Laurent Alexandre, connu pour ses travaux sur le transhumanisme et la fin de la mort, s’alarme des projets des neuro-révolutionnaires (Le Monde du 7 mai).

La science, qui a conquis les « petites Poucettes » chères à Michel Serres, qui jouent sur le clavier du portable à longueur de journées, a mis en œuvre les multiples outils virtuels, offerts aux décideurs qui font tourner les manèges du temps présent, à l’instar de Charlie Chaplin qui faisait tourner les engrenages des Temps modernes en 1936.

Il y a une vingtaine d'années, les États-Unis, face aux premiers risques de l’usage de ces outils dans la finance, ont inventé les grands principes de la gouvernance imposés au monde entier Ce fut le bon temps, fugace, de la transparence, de la conformité, et du rendu de compte, traités par PRESAJE dans un ouvrage d’Hervé Dumez. Juste avant l’intoxication propagée par les produits virtuels qui ont failli tuer l’économie mondiale.

Cette catastrophe a démontré la cupidité de ceux qui sont prêts à vendre leur âme au diable réincarné dans des outils mortifères pour les citoyens et les épargnants. Seul le droit de la responsabilité, mondialement pratiqué, peut en limiter les effets désastreux. Hélas, l’esprit du droit, sa capacité préventive et dissuasive sont trop distanciés dans l’usage des outils numérisés. La justice, elle, est carrément larguée. Citons 3 exemples :

En 2008, la disparition de 5 milliards d’euros dans une affaire de trading boursier voit l’auteur condamné à la prison. Il réclame que l’automate modélisé, qui lui avait été confié par leur propriétaire, soit jugé, avec eux. Somnambule au long cours, rêvant à des lois qui condamneraient les machines, pour ce que celui qui les manipule leur a fait faire, il est allé chercher le secours et l’absolution de la loi divine… et des télévisions.

En 2009, la disparition d’un avion dans l’Atlantique a, difficilement, révélé l’inadaptation, en situation extrême, de la réaction des pilotes aux automatismes complexes du pilotage modélisé. Etablir, 15 ou 20 ans plus tard, les responsabilités de la catastrophe, pour éviter sa reproduction, conduira à des années de débats stériles, dont les conclusions seront à jamais contestées, tant par leur complexité que par leur caractère tardif.

En 2014, la disparition d’un autre avion dans le Pacifique révèle que les informations produites par les modèles d’interconnexion de tous les objets qu’utilisent les hommes sont détenues par les grands services de sécurité et/ou d’espionnage de la planète. Ils les ont lâchées au compte goutte pour mieux cacher aux concurrents d’où et comment ils les tenaient. En attendant, l’avion et ses passagers restent au fond de l’océan.

Peut-on dire que l’irresponsabilité juridique des algorithmes, modèles, automates et Big Datas qui constituent l’e-révolution échappent à la sanction judiciaire de leurs failles ? Les « e-inquiets » de la science le disent quand ils voient que les moyens utilisés s’affranchissent de tous les droits protecteurs des êtres humains. Prenons à nouveau 3 exemples :

Les masses d’informations individuelles collectées sur tout et tout le monde, utilisables à toutes les fins possibles, assurent aux opérateurs qui les détiennent leur domination sur la totalité des êtres humains connectés. Elles dépassent déjà l’imaginaire (l’équivalent de 25.000 milliards de bons vieux CD). Ce n’est qu’un début.

Ces monstrueuses Big Datas, cachées dans les « clouds », rassemblent tout ce que produisent ordinateurs, tablettes, smartphones, modèles, automates, objets interconnectés et autres robots. Selon les cas, elles feront tomber la pluie fertilisante ou la grêle destructrice, sans aucun contrôle humain. Comme le font les drones.

Il reste à franchir l’étape décisive, l’implantation dans le cerveau humain des éléments de l’intelligence artificielle, qui permettront de créer les supermen de l’humanité compétitive, en leur ajoutant les mutations génétiques qui modèleront un corps performant à la mesure des cerveaux équipés des prothèses de la super intelligence.

Devons-nous passer de l’ « e-inquiétude » à l’ « e-angoisse » ? Non. Ces outils ne maîtriseront pas la force de l’émotion humaine qui soulève les révoltes, comme la foi soulève les montagnes. L’e-révolution a produit l’antidote de ses poisons, le web 2 0, avec l’interconnexion des individus qui vivent sur la terre. Il les aidera à se protéger du ciel chargé des « nuages » que les sciences, hors droit, hors justice, sont en train d’accumuler.

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