JUIN 2015 - N°26

Bonnes feuilles
Information numérique : un espoir de reconquête pour le bien commun, pourquoi pas ?

par Henri Pigeat, président du CFJ (Centre de formation des journalistes) et ancien président de l’AFP

Assurer la production d’une information fiable et indépendante, telle est la contribution au bien commun qu’une société démocratique attend des journalistes. Depuis près de trois ans, un groupe de travail se réunit chaque mois au Collège des Bernardins pour analyser l’impact de la révolution numérique sur les métiers de l’information. Le président de ce cercle très ouvert, Henri Pigeat, en a tiré la matière dans un livre résolument constructif. Il en livre des « Bonnes Feuilles » aux lecteurs de Presaje.Com. Trois extraits.


1 - Le média, concept évolutif

Le « média » a perdu son rôle originel de médiateur obligé. Alors qu’il correspondait précédemment à un concept clair, sa nature est devenue confuse et mouvante. Il avait constitué un terme générique pour désigner la presse sur papier, la radio et la télévision. Passant du stade artisanal à celui d’une organisation industrielle, il a reposé sur un modèle économique particulier, dit « triangulaire », alliant une vente de nouvelles et une vente d’espaces publicitaires qui était en fait celle d’une audience. Cette double source de recettes a facilité son équilibre financier et conforté l’autonomie des titres. Ces médias dont l’information a longtemps été l’objet principal n’étaient pas seulement des structures de commerce. Ils jouaient aussi un rôle social et politique en contribuant à la cohérence de la communauté.

Après être apparus comme des médias plus perfectionnés que les précédents, les systèmes de communication par l’internet, et notamment les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, se sont révélés en fait d’une nature totalement différente. Ils ont provoqué la dissociation des fonctions longtemps rassemblées d’information et de diffusion. Se défendant de toute ambition éditoriale, ils se sont organisés en « plateformes » d’expression et d’échanges pour tous les membres de la cité. C’est sur cette seule fonction qu’ils ont fondé leur ambition commerciale et attiré une part croissante des ressources publicitaires. Sans se mettre en position d’exacts concurrents des médias anciens, ils ont capté certaines de leurs fonctions et les ont dépassés en offrant à la cité des services qui répondaient à ses attentes. Le jeu des pouvoirs sociaux est ainsi en voie de transformation, sans que le besoin d’information soit cependant moins pressant, ni mieux satisfait.

2 - Possibilité d’une information « augmentée »

Dans la querelle entre « techno-pessimistes » et « techno-angéliques », la facilité serait de céder à la généralité. Les poussières du tremblement de terre numérique sont loin d’être toutes retombées. En dépit des risques, des dérapages et des inconvénients de court terme, il faut se rendre à une évidence : le numérique ouvre un indéniable pouvoir libérateur. Il peut enrichir l’information. Il peut même aider à en restaurer le sens.

La consommation d’information était devenue largement passive ces dernières décennies, sous l’influence des mass-médias. L’offre des programmes de fiction comme celle de l’information avait été peu à peu composée de « produits » de plus en plus conditionnés et uniformisés, en vue de favoriser des audiences aussi larges que possible, afin de répondre à l’intérêt des annonceurs publicitaires.

Le numérique crée une capacité nouvelle de choix. Le « bruit » général de l’information recouvre une multitude de messages d’apparences comparables, mais dans les faits très hétérogènes en qualité et en intérêt. Un besoin de distinguer l’information véritable s’est installé, comparable aux exigences de dépollution du courrier électronique envahi par les « spams ».

La fatalité technique qui semblait conduire à une standardisation des formes d’information semble désormais moins évidente. L’accès personnalisé à de nouveaux systèmes de diffusion, flexibles, ouverts et sans limites de capacité, change radicalement la relation entre celui qui veut s’informer et les médias. La « dictature de l’urgence » est relativisée. Les rythmes de diffusion peuvent être choisis librement par les émetteurs d’information, comme par les récepteurs. Une place peut être redonnée aux informations de temps long. Le volume des messages, du plus bref au plus large, peut être déterminé en fonction des seules opportunités éditoriales.

Face à une offre diversifiée, le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur disposent d’un choix plus facile. A partir d’un seul message, chacun peut par les liens de l’internet rebondir vers d’autres sources, faciles à trouver et à apprécier. Tout se passe comme si chacun disposait en permanence d'une immense base de données mondiale, d’accès immédiat et généralement gratuit pour vérifier et approfondir les premiers éléments d'information obtenus. De tels développements ne sont plus dictés par des volontés extérieures, mais laissés à l’initiative et aux goûts de chacun.

3 - Le nouveau rôle du journaliste « tiers de confiance »

L’arrivée de nouvelles formes d’informations nées du numérique peut offrir au journaliste de nouvelles conditions d’autonomie. Elle est aussi pour lui un considérable défi. Quels que soient leurs excès ou leurs limites, les réseaux sociaux sont porteurs, pour une part de leur activité, d’informations qui doivent être traitées pour ce qu’elles sont. Les sources ne cessent de se multiplier. La priorité du journaliste est moins la recherche des nouvelles qui arrivent souvent toutes seules que le contrôle de leur fiabilité. Il n’est plus le seul gardien (« gate keeper ») des informations. En revanche, il doit répondre à de nouvelles obligations : aider à la définition de ces algorithmes, filtrer plus précisément des messages devenus très hétérogènes, renforcer les vérifications, réagir dans des conditions de rapidité extrême. Le journaliste peut alors accentuer son rôle de « sécurisation » de l’information et de médiation. Il peut assumer plus complètement la fonction de « tiers de confiance » dont toute société a un besoin vital.

La relation au temps du journaliste change également. La maitrise du « direct » n’est plus une question de vitesse ni une course au « scoop », mais une capacité de jugement dans l’instant, comparable à celle du chirurgien dans l’urgence ou de l’alpiniste en passage périlleux. Dans la nouvelle diversification des informations entre la relation quasi directe et l’analyse garantissant le jugement, c’est à ce nouveau journaliste que revient la responsabilité d’imposer le temps nécessaire pour pouvoir donner au public des bases de compréhension des faits qui soient dignes de confiance. Moins qu’une révolution copernicienne, cette approche serait plutôt un retour aux ambitions originelles de l’information médiatique. Loin de tout risque de transfert de responsabilité à la machine, le numérique paraĆ®t, de ce fait, plutôt une incitation à l’intelligence de l’intervention humaine et une chance d’en élargir l’efficacité grâce à des outils plus performants.

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