JUIN 2015 - N°26

La démocratie d’opinions et Charly le numérique

par Michel Rouger, président de l’institut Presaje

Les événements dramatiques de janvier en France ont permis de mesurer la montée en puissance des « opinions publiques », une forme nouvelle d’expression des citoyens. Pour Michel Rouger, l’ampleur des mouvements qu’elle est susceptible de déclencher contraint la classe politique et les élites censées parler au nom du peuple à revoir les anciens codes de la démocratie.


La démocratie d’opinions a gagné le « S » du pluriel grâce aux techniques d’information et de communication qui sont déjà anciennes à force d’avoir été nouvelles... Quiconque cherche ce que signifient ces opinions a le choix entre le suffrage et le sondage, la manifestation et l’abstention, le jugement et le « mouvement » , le Guignol et le blogueur.

La nature de Charly le numérique, les caractéristiques de son expression et des polémiques qu’il a entraînées, le font appartenir au genre des « mouvements ». Il est de nature numérique par les moyens dont ont disposé ses membres - smartphones et réseaux sociaux - sans lesquels il n’aurait pu naitre dans le court temps de sa genèse. Ni se développer, au niveau de ses participants, dans les espaces qu’il a couverts.

A la différence des manifestations qui, depuis des siècles, expriment ce pourquoi elles sont engagées, le soutien ou l’opposition aux décisions de tous les pouvoirs, ce type de « mouvement » exprime une opinion de rassemblement, différente de l’opinion d’adhésion et/ou de rejet dont la lutte des classes a fourni tant d’exemples au XXème siècle.

Il s’agit de servir une cause noble, désintéressée, indépendante, extérieure aux postures élitaires des pouvoirs politiques ou intellectuels, dont les statuts reconnus, voire leurs castes dénoncées, ont pris la place de celle de la noblesse et des privilèges abolis il y a deux siècles. Cette opinion, en forme de rassemblement, réagit plus qu’il ne se construit. Il se veut universel et instantané. Il n’a pas vocation à l’unanimité.

Le « mouvement » Charly, à la différence de son cousinage des marches blanches nées avec l’affaire Dutroux en Belgique, n’a pas pris, dans son mutisme endeuillé, l’identité des victimes des violences faites à leurs personnes, à leurs libertés ou à leurs valeurs. Il a pris l’identité polymorphe et polyvalente des agressés silencieux de la société, Charly.

Ce comportement discret n’a pu empêcher, ni la tentative de prédation du pouvoir d’État qui y a vu, en lui donnant son soutien visible et sonore en l’accompagnant, le moyen de compenser le désamour dont pâtit l’adhésion de l’opinion à son égard, pas plus, qu’à l’opposé, il n’a pu éviter l’excommunication dont il a fait l’objet de la part de certains intellectuels, au motif que les citoyens absents du mouvement dans les rues pouvaient avoir été les objets d’une exclusion de la société par la volonté dissimulée des présents d’en faire des citoyens à part, voire associés aux mauvais.

Ce « mouvement » mérite mieux, il faudra lui redonner ses quartiers de noblesse.

Les sociétés modernes ont hérité du siècle des Lumières, Horresco referens, une présence de l’opinion publique, qui s’est progressivement généralisée dans les combats d’adhésion forcée qui l’ont visée, menés par les deux sources de pouvoir et d’influence. L’Etat et les intellectuels, de Louis XIV et Voltaire à Napoléon III et Victor Hugo. Puis la démocratie à développé toutes les formes d’adhésion de bon gré.

Il est temps pour ces élites de notre Monarchie Républicaine de considérer que l’Opinion numérique a largement modifié la donne de leurs relations avec le Peuple.

Risques et dissonances

Avant de conclure sur ce sujet des grands « mouvements » de l’opinion, cette Reine du monde dont Pascal et Chateaubriand ont évoqué la tyrannie, il convient d’ouvrir un débat sur les risques que présentent la multiplication des formes d’opinions, accrues par le numérique, en tous domaines, associées au désamour du Peuple à l’égard des pouvoirs élitaires, ceux de l’État comme ceux, d’influence, des intellectuels.

Un exemple de ce risque de tyrannie est souvent dénoncé, la constitutionnalisation, sous la pression de l’opinion en 2005, de la Charte de l’environnement sous le nom de baptême du principe de précaution. Né de la peur, comme Charly, le principe de précaution devait-il échapper aux corrections de la Loi, que doit assurer le peuple souverain, en rendant la Charte intouchable, sauf par le Conseil constitutionnel ?

Ce n’était pas la volonté politique mais c’est ce à quoi elle a conduit. Depuis 2005, par la sacralisation du principe de précaution, plus aucune loi n’est venue apporter les aménagements indispensables pour continuer à assurer la qualité de vie des citoyens.

On peut déjà, sans excès d’imagination, prévoir quelles empoignades se développeront entre les « mouvements » de l’opinion numérique au fur et à mesure qu’elle prendra conscience des évolutions radicales que les scientifiques préparent, spécialement dans le domaine de la santé et de la biologie humaine.

Rendez vous le 28 septembre.

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