JUIN 2016 - N°29

Pourquoi les Britanniques sont tentés par le Brexit

Par David Curry, Ancien correspondant du Financial Times à Paris; ancien membre du Parlement Européen; ancien député et ministre de l'Agriculture et de l'Environnement dans les gouvernements Thatcher et Major.

“Brexit” ou “Remain” ? Au lendemain du référendum du 23 juin, l’Europe ouvrira une nouvelle page de son histoire. Qu’elle le veuille ou non, la Grande-Bretagne y sera associée. Bruxelles l’exaspère mais elle est déjà affranchie d’une bonne part de ses contraintes. La jeune génération sera-t-elle plus à l’aise que ses aînés pour réconcilier le coeur et la raison ?


Il est parfaitement possible que le 23 juin les Britanniques votent pour quitter l’Union Européenne.

Les élites du pays – le monde des affaires et de l’éducation, les professions libérales – sont pour la grande majorité dans le camp “Remain”. Le gouvernement conservateur est déchiré, depuis le conseil de ministres jusqu’aux députés. Ses militants, souvent âgés, soutiennent le camp du “Brexit”. Le Labour Party s’est prononcé officiellement pour le maintien dans l’Union (“pro-Remain”), mais le parti - profondément divisé – pèse peu dans la campagne.
La classe ouvrière, soutien traditionnel du Labour Party, s’est laissée séduire par l’United Kingdom Independence Party (UKIP). Ce dernier a recueilli 14 % des votes lors de l’élection de 2015, mais le double dans certaines circonscriptions traditionellement Labour dans le nord de l’Angleterre.

En Ecosse, le Labour historiquement majoritaire, s’est fait battre sèchement aux élections de 2015 par le parti national (Scottish National Party -SNP- également pro Remain), ne conservant qu’un seul siège de député au parlement.
La défaite du Labour aux élections l’a fait réagir en portant à sa tête un leader plus marqué à gauche, Jeremy Corbyn, qui s’engage peu dans la campagne pour le maintien dans l’Union Européenne.

La presse populaire la plus lue en Grande Bretagne fait campagne agressivement pour le “Brexit”. Avec les sondages 50/50 (mais 30% de l’électorat est toujours indécis) la grande question est de savoir s’il y aura une réaction populiste contre l’establishment - un moment Trump!

Pourquoi ce scepticisme manifeste à l’égard de ce que les britanniques ne cessent d’appeler “l’Europe” ? En réalité les relations du Royaume Uni avec le reste de l’Europe ont été biaisées dès le départ, bien qu’il y ait également des raisons plus récentes à cette réticence. Le Royaume Uni a boudé la création de ce qui est maintenant l’Union Européenne. C’était le seul pays européen à ne pas avoir été battu lors de la seconde guerre mondiale et, avec encore un empire considérable, se considérait toujours comme une grande puissance. Pour les pays continentaux, la création de “l’Europe” était une façon d’imposer la paix. Mais c’était également un moyen de retrouver une identité, de l’influence, et en quelque sorte une integrité politique et nationale.

Quand la Grande Bretagne a finalement demandé à adhérer à la CEE c’était parce que sa vision de l’après-guerre s’était révélée être une illusion. C’était un symbole de la perte de sa position de grande puissance, de son déclin économique et de ce que l’on pourrait décrire comme un manque de confiance nationale. Le double veto du Général de Gaulle ne fit que souligner ce déclin en position et en influence.

Quand la Grande Bretagne est devenue membre de l’Union Européenne, il a été annoncé à la population britannique que l’objectif était économique, et non politique. L’Union Européenne était censée apporter à “l’homme malade de l’Europe” un traitement de choc. Le Royaume Uni a toujours été plus à l’aise avec la notion du développement du Marché commun et a toujours défendu la position d’une économie ouverte au monde. Il a toujours été mal à l’aise avec un programme d’engagement politique mais favorable à l’élargissement, en partie parce que cet élargissement rend plus difficile la réalisation d’une Europe politiquement intégrée.

Le Royaume Uni a réussi à formaliser une semi-indépendance au sein de l’Union: il n’appartient pas à l’union monétaire; il n’a pas signé l’accord de Schengen; et en matière de droit et de justice s’est réservé le droit de choisir les éléments qui lui conviennent. Conformément aux négociations de David Cameron en début d’année, le Royaume Uni ne participera pas à la construction d’une “union sans cesse plus étroite entre les peuples européens”, pour reprendre les termes du préambule du Traité de Rome.

Des événements plus récents ont renforcé les réticences britanniques. Sa position économique s’est inversée du fait de la révolution Thatcher. Le Royaume Uni figure maintenant en tête de file des économies européennes tandis que le reste de l’Europe connaît des problèmes de chômage persistants. L’échec quasi total des grands pays continentaux, en particulier la France, à réformer un marché du travail sclérosé et à créer une économie plus compétitive est un mystère absolu pour les Britanniques. Thatcher’s children (les héritiers de Madame Thatcher) décrivent maintenant l’Union Européenne comme une organisation du passé et non du futur.

La situation ne s’est pas améliorée avec l’introduction d’une monnaie unique sans la mise en place du système de contrôle économique et politique qui aurait été nécessaire à son succès.

Tandis que le camp “Remain” ne cesse d'insister sur l'économie, le camp “Brexit” brandit l'argument de l'immigration. L'économie relativement saine de la Grande Bretagne et sa croissance du marché de l'emploi (avec un taux de chômage deux fois moins important qu’en France) se sont révélés être très attractifs pour les candidats à l'immigration. Les derniers chiffres montrent qu'en 2015 l'immigration nette (après déduction de l'émigration hors du pays) était de 333.000 dont 184.000 venant de l'UE (58.000 de la Roumanie et de la Bulgarie). Selon l'Office of National Statistics la population de l'Angleterre seule devrait avoir augmenté de 4 millions de personnes d’ici 2024. Le camp Brexit évoque la pression que de tels chiffres exercent sur le logement, l'éducation, les services de santé et souligne son effet négatif sur les salaires. Il soutient que l'immigration est hors de contrôle et que ce contrôle ne peut s'exercer qu'en sortant de l'Union Européenne. Le gros problème pour David Cameron est que lors des élections générales de 2010 il s'était engagé à réduire l'immigration nette à moins de 100.000 par an. Mission impossible !!!

Quand David Cameron est arrivé au pouvoir il a cherché à faire face aux divisions obsessionnelles de son parti sur l’Europe en promettant un référendum IN/OUT. Mais il est clair que même si le camp du oui l’emportait largement, cela ne rapprocherait pas pour autant le Royaume Uni de la vision de l’Europe qu’ont les “continentaux”.

Un vote britannique pour le “Brexit” aurait des conséquences dramatiques, car il renforcerait les mouvements populistes anti-européens sur le continent. Cela donnerait également à l’Allemagne une position encore plus dominante dans l’Union. Les alliés du Royaume Uni seraient désorientés et le Président Poutine assisterait, sans doute avec grande satisfaction, au spectacle d’une alliance occidentale à la dérive.

Le camp “Remain” met en garde les Britanniques de ne pas s’aventurer dans l’inconnu. Le problème est que beaucoup n’aiment pas ce qu’ils connaissent - l’Europe - bien plus qu’ils ne craignent l’aventure à laquelle les invite un vote pour le “Brexit” !

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