JUIN 2016 - N°29

Brexit et Industrie financière : la City anticipe des conséquences limitées

Par Pierre-Alexandre Petit, Investment Manager – Ardian Private Debt

L’industrie financière britannique a largement bénéficié de l’appartenance à l’Union Européenne, le Marché Unique permettant de pérenniser une prééminence de longue date alors que la mondialisation s’accélérait. Les professionnels devraient-ils pour autant s’inquiéter d’un brexit ? Les changements réglementaires ne remettraient probablement pas en cause la suprématie de la City qui anticipe une légère perte de compétitivité-coûts et une diminution d’activité pendant les longues négociations de sortie de l’Union.


La position dominante à l’échelle mondiale dont jouit aujourd’hui le Royaume-Uni dans de nombreux secteurs de l’industrie financière tient en partie du principe de passeport Européen, permettant à toute filiale britannique d’une banque internationale de vendre ses produits ou services à travers l’Espace Economique Européen. Depuis l’instauration du marché unique, Londres a ainsi attiré les investissements étrangers pour renforcer un leadership établi et s’imposer comme portail des transactions financières entre l’Europe et le reste du monde.

Quelques chiffres peuvent témoigner du statut unique du Royaume-Uni pour la Finance européenne: alors que le pays ne représente qu’environ 13% de la population et 15% du PIB de l’UE, il pèse 24% des services financiers de l’union. Londres représente aussi 30% de la capitalisation boursière européenne ou 32% des actifs bancaires. Et pour rentrer dans le détail de la suprématie britannique, le pays représente 50% des services de gestion de fonds européens, 64% des levées de fonds en private equity, 74% des ventes de produits dérivés de taux, 78% du trading de devises ou encore 85% des actifs de hedge funds(1).

Le secteur représente plus d’un million d’emplois de l’autre cote de la Manche et près de 7% du PIB ; £65 milliards de recettes fiscales. Un écosystème complexe s’articule autour d’une main d’œuvre très qualifiée qui afflue du monde entier - un quart d’étrangers dans la City dont 50% provenant d’autres pays de l’UE -, de réseaux très denses d’intermédiaires, de conseils et de lobbyistes en tous genres et repose sur des infrastructures inégalées en Europe. Cela constitue un avantage compétitif si significatif qu’il semble très peu probable de voir d’autres villes européennes venir déloger Londres de sa position dominante en cas de brexit. Pour autant, une sortie de l’UE ne serait pas indolore pour la City et ses investisseurs.

En premier lieu, une perte de compétitivité relative du Royaume-Uni peut être attendue en raison de l’augmentation des coûts pour servir les marchés européens et internationaux. Hors de l’Union, les accords de libre-échange négociés par l’UE pour accéder à ces marchés pourraient être remis en cause. La question des échanges intra-européens est plus complexe en l’absence d’alternative équivalente à Londres pour fournir aux clients européens des services financiers. Des coûts supplémentaires semblent donc inévitables, soit pour recréer un pôle financier compétitif en Europe continentale, soit pour que les institutions financières britanniques obtiennent et maintiennent les agréments ou les équivalences avec les réglementations en vigueur dans l’UE.

Parmi les contraintes réglementaires essentielles figurent celles qui régissent la façon dont les produits financiers peuvent être commercialisés sous forme de parts de fonds: UCITS pour la vente de détail et AIFMD pour la vente aux investisseurs professionnels. Dans les deux cas, la réglementation européenne impose que les fonds et leurs sociétés de gestion soient domiciliés dans un pays membre, même si les décisions d’investissement sont déléguées par la société de gestion à un prestataire hors de l’UE. Le maintien du statut UCITS ou AIFMD est un réel enjeu car ces dénominations sont désormais essentielles au-delà des frontières européennes, notamment en Asie et en Amérique du Sud.

Néanmoins, la plupart des fonds gérés depuis le Royaume Uni et commercialisés en Europe continentale sont d’ores et déjà structurés ainsi et les impacts du brexit pourraient ne se limiter qu’à la minorité des fonds ou de leurs sociétés de gestion qui sont domiciliés au Royaume Uni :

  • AIFMD: L’obtention d’une équivalence de la part de l’UE serait probablement privilégiée si c’est envisageable dans le cadre du nouveau modèle de relations commerciales (c’est le cas de la Suisse par exemple). L’alternative serait de transférer le fonds et sa société de gestion dans un pays membre tout en déléguant les décisions d’investissement à la société basée au Royaume-Uni. Dans le cas du fonds, le transfert pourra toutefois être un fait générateur d’imposition ;
  • UCITS: il n’existe pas d’équivalence donc le fonds et la société de gestion devront être transférés avec les mêmes conséquences pour l’AIFMD.

Ce fonctionnement limiterait l’impact négatif de la perte du passeport européen pour les institutions basées au Royaume-Uni qui vendent des produits financiers à des investisseurs européens. Mais les banques intermédiaires de la City, qui passent des ordres ou agissent comme chambres de compensation, resteraient incapables de traiter avec des gérants européens sans équivalence MiFID (directive sur les marches d’instruments financiers) ou EMIR (produits dérivés OTC). Ce qui pourrait obliger ces banques à ouvrir des succursales en Europe continentale. Toutes choses égales par ailleurs, une décentralisation imposée par la réglementation Européenne devrait donc contribuer à l’augmentation des coûts moyens en réduisant les économies d’échelles réalisées aujourd’hui par un seul acteur.

Le brexit aurait donc des conséquences plus probablement défavorables pour l’industrie financière européenne et plus particulièrement pour l’industrie financière britannique. Il ne faut pas tant redouter les conséquences réglementaires qu’une diminution significative des volumes d’activité liée à l’incertitude concernant la durée et le résultat des négociations de sortie et leurs implications macro-économiques.

(1) Blacrock Investment Institute, BoE, MSCI et theCityUK (février 2016)

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