MAI 2017 - N°31

Pourquoi il faut se méfier du millefeuille bio

Par Dominique Hoestlandt, consultant

Mettre en garde les Français contre les atteintes à la biodiversité c’est bien. Les informer, les alerter, les sensibiliser, c’est utile. Mais à trop en dire et à trop en faire, il y a un risque à introduire auprès des opinions publiques une représentation totalement faussée de la biodiversité, assimilée à un « état de nature » statique et mesurable. Plus grave, depuis 15 ans, la France a accumulé un véritable millefeuille de règlements qui risquent à terme d’induire des réactions hostiles explique Dominique Hoestlandt.


La vie est apparue sur terre voilà 3,4 milliards d’année, l’homo sapiens voilà 200.000 ans, la biodiversité – le mot – voilà 35 ans seulement. Ce néologisme – car c’en est un – apparait en 1986 dans les actes d’un colloque scientifique sur la diversité biologique.

Car c’est d’elle qu’il s’agit : de l’extraordinaire foisonnement des formes prises par la vie, des gènes et organismes les plus infimes (bactéries…) aux organismes plus évolués (plantes, animaux, êtres humains) et à leurs écosystèmes1. C’est dire son extraordinaire complexité, et sa capacité à évoluer sans cesse ; la biodiversité est dynamique.

Magie des mots : l’opinion publique et les politiques, séduits par ce néologisme qui sonnait comme un idéal, y virent une richesse, mais une richesse en sursis. Cette biodiversité – fruit de milliards d’années d’évolutions adaptatives – avait empiriquement trouvé les meilleurs compromis entre le vivant et notre planète. Mais le rythme d’érosion que lui font subir nos activités humaines depuis quelques siècles est beaucoup trop rapide pour la capacité d’adaptation naturelle des espèces, et font entrer notre planète dans une séquence inédite, peu documentée scientifiquement.

Pour mobiliser les opinions publiques mondiales, les scientifiques cherchèrent à nous alerter sur ces dangers, et à montrer ce que nous gagnerions à utiliser la biodiversité et les services rendus par certains écosystèmes. Leur message confortait une prise de conscience récente de ce qu’avec l’explosion démographique de l’humanité au XXe siècle, son développement devait se réformer s’il voulait être durable.

Diverses institutions internationales se saisirent de cette problématique biodiversité. En 1992 se tint à Rio le Sommet de la terre qui statua sur la biodiversité. En 2005 fut publié le Millenium Ecosystems Assessment, collationnant les travaux de centaines de chercheurs décrivant les écosystèmes. En 2010, année internationale de la biodiversité, se tint une COP 10 sur ce thème - la Conférence de Nagoya – qui adopta un plan stratégique décennal et proposa de créer l’IPBES, qui ferait pour la biodiversité ce que fait le GIEC pour le climat. L’Europe articula en mai 2011 une stratégie à horizon 2020.

La France, dotée d’une stratégie nationale pour la biodiversité au début de ce siècle (SNB 2002-2010), la prolongea par la SNB 2011-2020. Furent créés l’Observatoire de la biodiversité (ONB), le Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (CSPNB), le Système d’information sur la nature et les paysages (SINP), le Centre d’échange pour la convention sur la diversité biologique (CEF), l’inventaire national du patrimoine naturel (INPN) géré par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHM). Par une loi d’août 2016, elle institua des Atlas de la biodiversité communale (ABC), et une Agence Française pour la biodiversité (AFB). Au cours des dernières décennies, diverses réglementations instituèrent, en un vrai millefeuille, de multiples zones de protection ou de restauration de la biodiversité : zones Natura, parcs nationaux, parcs naturels régionaux, réserves naturelles, réseau des sites classés, conservatoires d’espaces naturels, parcs naturels marins, aires de protection de biotopes, sites du conservatoire du littoral et des rivages lacustres... Ces zonages se recouvrent partiellement certes, mais font au total 12,5% du territoire métropolitain (pour ne rien dire des zones humides, ni des trames vertes et bleues, elles aussi intouchables).

Inflation réglementaire

Or cette surabondance réglementaire a progressivement introduit une représentation approximative, voire inexacte, de la complexité de cette diversité biologique comme de sa dynamique : la biodiversité y est assimilée à un état de nature (statique et mesurable), plutôt qu’à l’enchevêtrement de systèmes dynamiques de toutes tailles, extraordinairement complexes. On parle de la protéger, de la sauvegarder, de la restaurer… expressions naïves de la doxa administrative ; on la confond avec un état des lieux, un patrimoine dont on connaîtrait un état originel - seul légitime. Dans la vie publique locale, cette biodiversité est parfois prise en otage par certains conservatismes trouvant dans sa défense un argument facile pour contrer un projet qui impacte un habitat. Et quel projet ne le fait pas ?

Mais, à surenchérir en son nom dans ce millefeuille, on risque de lasser nos concitoyens, qui verront dans cette luxuriance réglementaire l’explication des difficultés que nous avons à lancer de nouveaux projets ; ils soupçonneront que la biodiversité est un mauvais prétexte pour paralyser les collectivités locales qui aménagent leurs territoires, et les entreprises qui s’y installent. Lassitude à prévenir : à vouloir demain s’affranchir de certains règlements, on risque de jeter le bébé (la biodiversité) avec l’eau du bain (les réglementations). Ce qui serait fâcheux.

Alors ?

Alors il est plus urgent que jamais de mieux connaître et mieux comprendre cette biodiversité, et donc de former plus de naturalistes qu’on ne le fait aujourd’hui. Et il est vital de mieux faire connaître et de faire comprendre cette biodiversité locale, même en ville, à nos concitoyens et à leurs enfants.

1 écosystème : ensemble de relations qui relient un être vivant à son milieu, lui permettent d’y vivre et de s’y reproduire.

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