MAI 2017 - N°31

Médicament innovants : impasse normative, issue contractuelle
Comment gérer le rapport de forces entre les producteurs et l’acheteur

Par Francis Megerlin

A l’heure de la big data et à l’aube de contraintes fortes, comment rétablir la confiance entre producteurs et acheteurs sur le marché des technologies de santé ? L’envolée des pétitions de prix et l’extrême spécialisation des médicaments se sont traduites ces dernières décennies par un étirement des négociations, voire leur échec potentiel. Les acteurs privés et publics sont au pied du mur, les outils doivent évoluer. Aujourd’hui, explique Francis Megerlin, une approche nouvelle peut reposer sur la garantie contractuelle de valeur.


Comment gérer le rapport de forces entre les producteurs et l’acheteur ? L’enjeu est majeur pour le patient, qui veut accéder au médicament autorisé (ici par autorisation de mise sur le marché AMM) ; l’industriel, qui veut accéder au marché remboursable, et en France pour l’Etat, tenu par la garantie constitutionnelle de l’accès de tous aux meilleurs soins, et comptable d’un budget approuvé par la représentation nationale. L’Etat porte la responsabilité politique du choix des produits remboursables et de la négociation de leurs prix avec les producteurs. Or, les pétitions de prix comme les revendications d’efficacité thérapeutique sont parfois une source de désarroi. L’acheteur s’interroge : les études rapportées sont-elles suffisantes ? sont-elles fiables ? les résultats d’essais protocolisés sont-ils extrapolables en pratique de soins ? La survie bilatérale est engagée, les positions se tendent, les normes s’accumulent.

Le marché est grossièrement animé par deux tendances : du côté de l’offre, de nouveaux produits autorisés avec des indications toujours plus ciblées et des pétitions de prix toujours plus élevés, donnant parfois lieu à un usage intensif, sans données d’efficacité/sécurité à long terme. Du côté de l’acheteur, la confiance est ébranlée, le budget contraint, la pression politique forte, et l’aversion aux risques (ici économique – de ne pas retrouver le résultat attendu au prix payé) croissante. Il en résulte un renforcement des exigences réglementaires a priori, un étirement des négociations, voire une rupture de dialogue entre producteur et acheteur : elle s’exprime en le refus d’achat au prix demandé (même après remises confidentielles), ou le refus de vente au prix proposé.

Face au spectre du rationnement selon des critères cliniques – comme aux Etats-Unis, voire sociaux – comme parfois au Royaume-Uni, différentes logiques sont à l’œuvre. Par le contrat, ces dernières visent à restaurer le dialogue et pourraient être un outil de transformation des systèmes, lorsqu’elles reposent sur la garantie économique selon un modèle « satisfait ou remboursé » (F. Lhoste). Le contrat de résultat, alternative au rationnement ? Face aux prix demandés, l’acheteur ne veut pas un produit, ni un service, mais une solution – et doit pouvoir rendre compte à la collectivité de ses décisions.

Il en résulte de nouveaux comportements : certains producteurs s’engagent sur des indicateurs de performance en vie réelle, à l’échelle individuelle (résultat par patient) voire populationnelle (% de succès sur la population traitée), avec modulation du prix selon la valeur éprouvée, ou remboursement à due proportion de l’échec, voire paiement subordonné au résultat – ceci n’excluant pas les accords prix/volumes et les remises confidentielles (les prix internationaux n’étant qu’une base de négociation).

A l’ère de la data-masse, la possibilité d’une connaissance de l’usage et valeur en pratique de soins, a fortiori de l’enregistrement de la preuve d’efficacité, fondent un nouveau paradigme pour les contrats et la gouvernance. Cette possibilité est nourrie des progrès continus des sciences et techniques en matière de scores, biologie, imagerie, etc. pourvu que les indicateurs proposés soient cliniquement pertinents pour contrat – sujet majeur ! Loin des « algorithmes » règlementaires actuels et des études sophistiquées et instrumentalisables, ces types d’accords visent à restaurer la confiance entre parties, et renouvellent la dialectique norme / contrat.

Développés dans plusieurs pays, leur champ d’application est certes limité en France, mais les gouvernements successifs témoignent de leur intérêt. La performance ne relève toutefois pas du seul mérite intrinsèque d’une molécule ou de combinaisons: l’intelligence collective dans l’organisation des soins et leur management documenté ne sont elles pas une condition du succès ? L’autonomie responsable, éclairée par la data-masse, ne pourrait-elle fonder une nouvelle réflexion sur la transversalité et la temporalité de la gouvernance ?

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