MAI 2017 - N°31

En entreprise, de la norme qui protège à la norme qui étouffe

Par Isabelle Proust, Partner USIDE*

Plus l’entreprise grandit et s’internationalise, plus elle se trouve enserrée dans une épaisse forêt de normes. Normes volontaires pour s’assurer le strict contrôle de ses filiales et de ses services. Normes imposées pour se mettre en conformité avec les règlements et les standards des Etats et des marchés. Avec au bout du compte un risque grandissant d’alourdissement des procédures et de démotivation des équipes. Comment concilier sécurité, souplesse et performance s’interroge Isabelle Proust ?


Notre environnement économique, social, culturel pousse à la production de normes : par précaution, des protocoles et des interdictions pour protéger notre santé, une régulation pour protéger nos droits de consommateurs …

Pour se protéger elle-même dans son fonctionnement interne, l’entreprise produit également de la norme. Plus sa taille grossit, plus les normes – sous la forme de process, reportings, autorisations préalables … – augmentent et contraignent, au point d’étouffer.

La normalisation dans l’entreprise a été rendue nécessaire tant par les impératifs de « compliance » (respect des standards techniques, de sécurité, environnementaux et des réglementations financières) que par l’extension de la taille des multinationales, comptant de nombreuses filiales dont il faut contrôler les flux financiers. Sur le plan technique, il convient de respecter des cahiers des charges stricts, de remplir des dossiers d’homologation etc. Cela se fait au nom d’un impératif de sécurité, et si la lourdeur est critiquée, elle est admise au nom de l’intérêt de tous.

Il en est différemment de la lourdeur des processus comptables et financiers, qui, s’ils répondent pourtant à un impératif de bon fonctionnement des marchés pour la protection de tous les épargnants, n’en apparaissent pas moins comme l’injonction d’une « direction déconnectée du terrain ». Que vaudrait une entreprise et comment pourrait-on coter des actions d’entreprises sur un marché si les bilans n’obéissaient pas à des règles communes et si l’on ne pouvait s’assurer que ces mêmes bilans correspondent à une réalité tangible ? quelques scandales financiers sont là pour nous rappeler l’importance des procédures comptables et financières.

Dérive

Mais le sens de cette régulation a été perdu au fur et à mesure de la multiplication des normes.

Dans le même mouvement d’une critique sociale du gigantisme des multinationales, on constate une perte d’efficacité, qui tend à remettre en cause ce modèle (plusieurs études de l’OCDE font apparaître une tendance très nette à la diminution des montants et de la rentabilité des investissements des grandes entreprises hors de leur pays d’origine ; la direction de Danone a annoncé en février 2017 privilégier pour le futur des stratégies locales, à l’opposé de « la mondialisation à l’ancienne »).

Les deux causes sont en effet liées : c’est la complexité de contrôler un groupe aux multiples ramifications, associée à une volonté d’optimisation des ressources employées, qui est à l’origine de l’inflation des procédures en entreprises.

Puis, à force de vouloir protéger, la norme a étouffé : la créativité, l’interaction entre les métiers et les gens … La lourdeur des process internes a fini par éloigner de l’objectif final et de la réalité de terrain. Elle a fait perdre le sens du travail. Les « reportings pour le siège » et organigrammes matriciels – sources d’injonctions souvent contradictoires – font l’objet d’un rejet massif de la part de salariés démotivés, au point de faire voler en éclat le modèle hiérarchisé et cadré de l’entreprise traditionnelle, et pas seulement sous la pression des millenials qui arrivent sur le marché du travail. Les startups sont appelées à la rescousse, via des accélérateurs dans les grands groupes, pour redonner du sens, de l’agilité et libérer les énergies.

Comment concilier sécurité, performance et épanouissement au travail, c’est tout l’enjeu de la réflexion managériale aujourd’hui, de l’entreprise libérée à l’évolution des comportements des managers.

Car, au-delà des modèles ou des structures, dans un environnement extrêmement mouvant, où il s’agit de gérer l’incertitude, les process ne sont plus une protection mais un frein. Et c’est bien plus sur la capacité d’adaptation individuelle qu’il faut agir. Il est une catégorie dont le quotidien est de gérer l’incertitude, c’est l’entrepreneur. Quand le forum Peter Drucker de novembre 2016 s’intitule « The entrepreneurial society », il n’est pas question de dire que toutes les nouvelles générations vont faire naître des Steve Jobs mais que nous sommes tous amenés, grâce à notre souplesse comportementale, à savoir gérer l’incertitude. C’est-à-dire « une société de l’entrepreneuriat » dans laquelle « l’esprit d’entreprise et l’innovation sont normaux ».

*Uside est un cabinet de conseil spécialiste des mutations culturelles et des comportements.

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