NOVEMBRE 2016 - N°30

Le BREXIT, et les grands auteurs de la bibliothèque du fin lettré.

Par Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen, professeur associé à Sciences Po

Pour comprendre un événement aussi paradoxal que le Brexit, il faut puiser dans quelques bons ouvrages de sa bibliothèque. C’est la recommandation de Jean Louis BOURLANGES, l’ancien député grand connaisseur de l’EUROPE, et de ses paradoxes.


Lecteur de grande culture, il nous propose cinq auteurs des 2 côtés du Channel:

Premier paradoxe, le principal, à tout seigneur, tout honneur : commençons par Milton et son Paradis perdu: il n'y a pas de système plus favorable aux intérêts britanniques que celui qu'ils viennent de quitter et qu'ils avaient arraché de haute lutte à leurs partenaires. Il est peu probable que le Brexit débouche sur une véritable catastrophe mais l'objectif de Theresa May doit être d'arriver au terme de la négociation à une situation aussi proche que possible de ce paradis politique que le peuple anglais a récusé. Le nouveau Premier Ministre est condamné comme Alice au Pays des merveilles à " courir très, très vite, rien que pour rester sur place ".

Deuxième paradoxe, deuxième livre : " La Taupe ". L'ennemi était dans la place. Les traîtres, les agents de l'étranger étaient au cœur du pouvoir. Ils avaient nom Westminster, la City, Thatcher ou Blair, les chantres du capitalisme apatride et circulatoire et de l'élargissement à la Turquie. C'est leur Europe plus que la nôtre, " Europe du laissez faire, laissez passer " intégral, le capitalisme manchesterien bien plus que le rhénan, qui a été mis en cause . Le Brexit , c'est la revanche de Scargill, l'homme des mineurs , et d'Enoch Powell, le Le Pen britannique qui prophétisait " des rivières de sang " dans une Angleterre multi-culturelle , contre les princes de l'argent roi et des immigrés bon marché. Pas de chance que les continentaux aient reçu une des balles perdues de ces combats !

Le troisième livre est de George Simenon: " les inconnus dans la maison " . L'ennemi est invisible, introuvable. C'est le règne du qui pro quo: on redoute les Syriens, les Pakistanais, les Soudanais, donc on rejette les Baltes et les Polonais. Il y a décidément trop de Musulmans sur les bords de la Tamise. On va donc en chasser les Chrétiens. Comprenne qui pourra ! Les chasseurs ne sont pas d'ailleurs mieux recensés que les chassés. Ceux qui sont aux affaires ont perdu le pouvoir. Ceux qui sont au pouvoir ignorent les affaires. D'où la perplexité de la nouvelle équipe confrontée à une tâche immense pour laquelle elle n'est pas préparée. Il aura fallu plus de trois mois pour que Theresa annonce qu'elle ne sera pas Mme May bis!

Quatrième paradoxe, symbolisé par l'ouvrage commun de la RATP et de Romain Gary : " au delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable ". Deux ans de négociation prévus par l'article 50 puis la sortie " at any cost ". Ça va-vite. D'où la tentation d'attendre, de négocier avant d'entrer dans le couloir de la mort. Mais aussi l'impossibilité d'attendre plus longtemps : le gouvernement de sa Majesté n'a nulle envie d'aller en 2020 aux élections générales avec cette épine dans le pied. Bien plus, les élections européennes auront lieu en 2019. Le gouvernement ne peut les organiser sans bafouer la décision du peuple britannique et ne peut pas ne pas les organiser sans que le Royaume Uni soit sorti de la chose, Mme May a annoncé la mise en œuvre de l'article 50 en mars 2017. Ouf, elle sera tout juste dans les temps !

Pour le cinquième titre, allons au cinéma et choisissons le film de René Clair: " C'est arrivé demain ". Relevons en effet sur une bizarrerie de l'article cinquante du TUE qui n'a pas fini de nous donner du fil à retordre. Ledit article prévoit en effet que l'accord de sortie, par définition distinct des arrangements conclus ultérieurement entre l'Union et l'ex membre, doit être négocié et conclu " en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union ". Lier les conclusions d'une négociation de sortie avec les conclusions d'une négociation ultérieure, inventer en quelque sorte le préalable rétrospectif, il fallait y songer. C'est en tout cas une promesse d'évidentes difficultés entre ceux qui, tels peut-être l'Allemagne, risquent de tout vouloir faire avant, et ceux qui, comme la France auront dans l'idée de tout voir après.

Oscar Wilde a dit que " le mariage consistait à faire face ensemble à des problèmes qu'on n’aurait pas eus séparément ". Une chose est sûre : le Brexit, ce sera le contraire : comment faire face séparément à des problèmes qu'on aurait pas eus ensemble " !

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