NOVEMBRE 2017 - N°32

A propos de la victoire prétendument étriquée de Madame MERKEL

Par Jean Pierre Spitzer, Avocat et Ancien Secrétaire Général du Mouvement Européen

La victoire de Madame MERKEL, le 22 septembre dernier est apparue étriquée, elle est pourtant bien réelle car elle est située dans un contexte d’engagement fort en terme d’immigration et d’intégration et au sortir d’une crise qui a secoué toute l’Europe qui a fait que tous les autres dirigeants ont perdu leur élection.
Sans avoir perdu le pouvoir, la coalition qu’elle pourra constituer dans le temps dictera par contre sa politique


L'ensemble des commentateurs, y compris en Allemagne, titre depuis le 22 septembre sur la
victoire étriquée de Madame MERKEL aux dernières élections, en soulignant qu'avec 33%
des voix, elle a perdu près de 7 % par rapport au dernier scrutin, elle-même ayant perdu 17% dans sa circonscription de l'Allemagne de l'Est.

Certes, ce constat dans sa brutalité n'est pas faux.

Cependant, il y a quatre ans, l'AFD était balbutiante et pour ainsi dire n'existait pas encore puisqu'elle n'avait pas atteint la barre des 5 % lui permettant d'être présente au Bundestag.

Or, si l'on additionne les voix de la CDU/CSU avec celles de l'AFD, on aboutit à un total de voix supérieure à celui obtenu par la coalition des chrétiens démocrates il y a quatre ans.

C'est là une première observation, même si celle-ci doit être relativisée car il n'est pas certain que tous les électeurs qui se sont tournés vers l'AFD auraient voté pour Madame MERKEL, d'autant que, semble-t-il, les électeurs qui ont voté pour l'AFD ont été en premier lieu motivés par les questions d'immigration et choqués par la politique de Madame MERKEL en faveur des migrants.

Nonobstant, il faut immédiatement rappeler qu'il s'agit là d'un phénomène pratiquement courant et commun à tous les grands pays européens (ainsi qu'aux Etats Unis) relatif à une grande peur et qui, dans le cas de l'Allemagne, semble quelque peu heurter le bon sens fondamental qui a animé Madame MERKEL. Rappelons qu'elle a voulu, par sa politique, faire face au déclin démographique important de l'Allemagne, et assurer à son pays une potentielle main d’œuvre pour effectuer des tâches que les citoyens allemands, suivant en cela les français, les anglais, et quelques autres, ne veulent plus ou ne peuvent plus exécuter.

Néanmoins, et malgré cette montée de l'extrême droite, encore une fois commune à tous les pays même si elle semble plus dangereuse encore chez nos voisins allemands, Madame MERKEL a fait un score qui laisse son poursuivant immédiat à environ 13 % derrière elle, et totalise 20 % de voix de plus que l'AFD.

Imagine-t-on en France François FILLON avec 13 points de plus que MACRON et 20 points de plus que Marine LE PEN au premier tour ? Et qu'en serait-il d'un deuxième tour entre Madame MERKEL et Monsieur SCHULZ : il est fort à parier que le résultat ne serait pas très éloigné de celui de Monsieur MACRON face à Madame LEPEN.

Il résulte qu'en termes purement électoraux, il ne s'agit pas là d'une victoire à la Pyrrhus, mais d'une évolution qui a, il convient de le répéter encore et encore, frappé tous nos pays.

Il y a encore 35 ans, en France, au Royaume Uni, en Espagne, en Allemagne, les deux camps principaux, en gros une droite conservatrice parlementaire et une gauche sociale-démocrate parlementaire, rassemblaient entre 70 et 80 % des voix.

Ces deux grands blocs ont éclaté, à droite entre une droite extrême et une droite parlementaire elle-même fissurée tant sur la question sociétale que sur la question européenne et sur d'autres encore, et une gauche divisée entre une gauche extrême ou radicale et une gauche sociale-démocrate elle-même traversée par les mêmes fissures que la droite parlementaire, la question sociétale étant remplacée par la question écologique.

Dans ce contexte de fragmentation de l'opinion, Madame MERKEL reste en Europe à un niveau très élevé de voix au premier tour.

Cette première observation n'est pas l'observation essentielle pour nous Français, car il s'agit simplement d'une relativisation de commentaires politiques et médiatiques effectués à chaud et donc contestables.

La question qu'il convient de se poser est celle de l'avenir des relations privilégiées entre la France et l'Allemagne, et grâce à ces relations privilégiées, de l'avenir de l'Europe.

Sur ce terrain, il pouvait sembler certain que, depuis plusieurs mois, Madame MERKEL et surtout son Ministre des Finances Monsieur SCHÄUBLE avaient mis de l'eau dans leur vin en ce qui concerne la gestion de la zone euro, et semblaient se rapprocher des thèses françaises telles qu'exprimées par notre Président de la République, tant à Athènes qu'à la Sorbonne.

Il est encore plus certain que si une grande coalition pouvait être reformée - ce qu'à l'heure actuelle le SPD exclut - cette tendance serait renforcée.

En revanche, l'alliance, semble-t-il contrainte pour Madame MERKEL, avec le FDP, comporte un risque important puisque le FDP a clairement indiqué pendant la campagne qu'il était pour l'application stricte des règles du traité de Maastricht et pour l'exclusion de la Grèce de la zone euro.

Indiscutablement, nous sommes fort loin d'une politique de plus grande solidarité en matière économique et financière de la zone euro, de même le FDP a totalement exclu que puisse être instaurée une espèce de ministre des finances de l'Europe (plus précisément de l'Eurozone) et encore plus qu'il puisse exister un budget de la zone euro, tel qu'évoqué par Monsieur MACRON.

Mais là encore, l'histoire n'est pas définitivement écrite puisque, dès le soir des élections, le Président du FDP, Monsieur LINDNER, a semblé mettre de l'eau dans son vin, en tout cas en ce qui concerne un « patron » de la zone euro, tout en continuant à exclure le terme Ministre des finances de l'Union Européenne, tout en martelant qu'il était nécessaire que tout le monde respecte les règles.

Et Madame MERKEL a réagi très favorablement aux propositions de Monsieur MACRON dans son discours à la Sorbonne.

Bref, ces élections permettent indiscutablement à Madame MERKEL d'effectuer un quatrième mandat tout en lui compliquant la tâche pour former une coalition avec un gouvernement stable et solide. Surtout elles lui compliquent la tâche pour mener une politique européenne davantage compatible avec celle que souhaite mener la France sous la conduite de notre nouveau Président de la République, à moins que le SPD, passant outre à la pétition de principe de Monsieur SCHULZ, n'accepte, dans un souci d'intérêt général, à reformer une grande coalition.

Mais quoiqu'il en soit, elle semble manifestement dans l'exercice de son leadership ne pas accepter que l'offre politique européenne de l'Allemagne soit entravée.

Il me semble que c'est cela l'enseignement le plus important qui se dégage de ces élections allemandes, et non pas une prétendue victoire à la Pyrrrhus de Madame MERKEL à laquelle personne n'est en mesure de contester le leadership de la politique allemande en ce moment.

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