OCTOBRE 2013 - N°21

Les Français parlent-ils tous la même langue ?
Pas de consensus sans accord préalable sur le sens des mots

par Jacques Barraux, journaliste, institut Presaje

Il y a deux formes de consensus : le consensus d’analyse et le consensus de l’action. Le premier conditionne le second. Pas d’action commune possible entre deux partenaires de bords différents sans une entente préalable sur le sens des mots et les données d’un problème. Pour Jacques Barraux, c’est là où les Français ont un sérieux handicap à remonter.


Prenons notre courage à deux mains. Ce matin d’octobre, le temps est doux. La France travaille. Ouvrons notre ordinateur pour sonder au hasard l’humeur des Français. Commençons par le site de « France Inter », une radio qui ne cache pas ses sympathies pour la gauche mais dont les journalistes sont de bons professionnels. Les auditeurs commentent les journaux du matin. Là, premier choc. Le ton est d’une violence inattendue. Déferlement de haine contre tout ce qui incarne le système : les patrons, l’Europe, la dette, la crise, Bercy (trop complaisant avec les capitalistes), la BCE, le FMI, l’édito « ultra-libéral » de Dominique Seux, le « racisme » de Manuel Valls... C’est plus rude que le ton « Inter » des journaux du matin. Consensus zéro.

Changeons de bord pour une promenade dans les sites de la droite décomplexée. Nouveau déferlement de haine contre des cibles voisines de celles du camp d’en face : l’euro, les technocrates de Bruxelles, les banques anglo-saxonnes, mais aussi - spécificité maison - les immigrés, les fonctionnaires et Bercy (pour le matraquage fiscal). La fracture politique du pays se lit chaque matin sur les blogs, les réseaux sociaux et les forums.

Les mots n’ont pas le même sens d’un camp à l’autre

Internet a libéré la parole des citoyens. On a beau savoir qu’au-delà des vitupérations convenues des protestataires de tous bords les majorités de gouvernement se forment au centre (centre-gauche à la Mendès-France ou à la Mitterrand ; centre-droit à la De Gaulle ou à la Pompidou), une question vient au bout des lèvres : en France, les mêmes mots ont-ils le même sens pour tout le monde ? Hélas non.

La France semble souffrir d’asymétrie de l’information. Pourtant, l’information de qualité existe. Elle est accessible à tous mais elle atteint ses cibles de manière fractionnée. Seule une minorité d’acteurs économiques juge nécessaire de l’appréhender dans sa globalité. Explication. Pour l’essentiel, l’information de qualité (approfondie, vérifiée, hiérarchisée) est consommée cercle par cercle. Dans l’espace balisé d’un métier, d’une profession, d’une branche de l’économie ou d’une organisation militante. Les agriculteurs, les banquiers, les industriels, les diplomates, les médecins, chaque corporation a ses réseaux, ses journaux de référence, ses sites spécialisés, ses relais internationaux. L’information est dense, complète et de bon niveau à l’échelle micro-économique. C’est la synthèse générale qui semble inaudible ou interprétée de manière déformée en fonction du mode de vie et des convictions idéologiques de chacun (commerçant versus fonctionnaire ; rural versus citadin ; propriétaire versus locataire ; cadre courtisé versus demandeur d’emploi etc.).

Les données d’un problème ne sont pas perçues de la même manière d’un groupe social à l’autre parce que les Français ne s’entendent pas sur le vocabulaire basique de l’économie. Les mots n’ont pas le même sens selon le genre de vie ou selon la famille de pensée. Le mot « compétitivité » est un simple outil de comparaison pour les uns, une arme de guerre du libéralisme pour les autres. Le mot « Roumanie » n’a pas le même sens pour un cadre exportateur de Renault et pour le voisin d’un camp de Roms.

Comment dès lors débattre sereinement d’emploi, d’Europe, de protectionnisme, de croissance ou de monnaie. La politique agricole commune, la stratégie d’un groupe comme Total, le contrôle des flux de capitaux : plus les sujets sont techniques, plus se fait sentir le besoin d’un apprentissage du citoyen aux données de base de tout problème, y compris pour les sujets qui ne les concernent pas directement. Le bon fonctionnement de la démocratie implique que le jour du scrutin qui décide de l’avenir du pays, le vote des citoyens ne soit pas seulement guidé par les affirmations simplistes des démagogues du moment. Commençons donc par rechercher le consensus des mots avant, dans une deuxième étape, de s’attaquer au consensus des projets.

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