OCTOBRE 2013 - N°21

La recherche de consensus ou l’apprentissage du nouvel art de vivre ensemble

par Armand Braun, président de la Société internationale des conseillers de synthèse

Au départ, deux points de vue opposés. A l’arrivée, un compromis en vue d’une action commune. Dans les sociétés traditionnelles, le « consensus » est l’aboutissement de longues approches et de longs palabres. Mais qu’en est-il dans le monde crispé et pressé de ce début de XXIème siècle ? Armand Braun voit trois difficultés à surmonter dans le contexte actuel. D’abord prendre acte d’un durcissement général des antagonismes. Ensuite, surmonter un diffus sentiment de défiance. Enfin, civiliser les mœurs de la société numérique...


Le consensus n’a pas d’âge. Cette manière de négocier est sans doute née avec le marché, dans un lointain passé : sans consensus, en effet, pas de transaction. Le consensus évite les conflits : il permet de tenir compte de la diversité des points de vue, peut faire surgir des compromis auxquels nul n’aurait pensé initialement, il est aussi un moyen pour chacun de s’obliger à clarifier et approfondir sa propre pensée, de faire effort pour l’expliquer et y rallier éventuellement les autres. La recherche du consensus, souvent secrète, certainement dénuée de transparence, est une démarche vertueuse.

Depuis toujours, les familles, les groupes de toute nature, les nations recherchent le consensus, en leur sein et dans leurs relations avec les autres. L’exemple le plus connu est celui de la création, dans les années qui ont suivi la deuxième Guerre mondiale, des institutions de Bruxelles par les Etats européens dans l’intention de préserver durablement la paix.

La recherche du consensus jouera certainement un rôle demain, comme hier et aujourd'hui. Pourtant, parmi les innombrables transformations que subit le monde, il y a lieu de penser qu’elle va devenir de plus en plus difficile...

... parce que les temps le sont : la défiance tend à remplacer la confiance a priori nécessaire à la recherche du consensus,

... parce que tous les groupes humains subissent de terribles tensions dont les difficultés de fonctionnement de plus en plus grandes que rencontrent les institutions internationales, européennes et mondiales sont une illustration parmi bien d’autres,

... parce que beaucoup de décisions relèvent d’alternatives qui excluent tout compromis et interdisent une issue gagnant-gagnant ; un exemple : l’exploitation des gaz de schistes en France se fera ou ne se fera pas (not in my back yard ),

... parce que les arbitrages entre avenir et présent se font presque toujours en faveur de ce dernier, dans l’indifférence aux conséquences à plus long terme,

... en relation avec la montée des outils numériques et des réseaux sociaux, dont le fonctionnement ignore les longues palabres souvent nécessaires à l’apparition du consensus.

Le consensus peut porter sur n’importe quoi : faire ou défaire ; promouvoir ou étouffer ; il y a le consensus momentané, qui n’est qu’un armistice ; le consensus imposé, qui est une forme de capitulation ; le consensus immédiatement discrédité défini par ce poncif médiatique : « une décision qui ne fait pas l’unanimité » ; le consensus instrumentalisé par un pouvoir, une croyance ou une idéologie, comme cet « état de consensus » que déclarait le Père Supérieur d’un couvent du Moyen âge pour imposer son point de vue quand les moines n’arrivaient pas à se mettre d’accord ou optaient dans un sens différent du sien (cette anecdote m’a été racontée par Jean-Marie Domenach).

En matière politique, par exemple, le consensus est recherché à travers des systèmes de représentation (élus, partenaires sociaux...) qui subissent une désaffection dont témoigne la montée ininterrompue de l’abstention électorale. En fait, ce principe majeur de la vie en société se dégrade, entre autres du fait de l’expression immédiate rendue possible par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Que va-t-il advenir de ce principe de la démocratie qui veut qu’il y ait consensus pour donner le pouvoir à la majorité, alors même que tout le monde n’en partage pas les options ?

Le thème du consensus pourrait retrouver une certaine importance au moment où les antagonismes se durcissent entre les administrations et la société civile, les artisans et les entrepreneurs, les analphabètes de l’informatique et les geeks, les jeunes et les vieux, les tenants d’idéologies différentes... Les milieux se referment sur eux-mêmes.

L’enjeu, c’est ce que les Allemands appellent la Gemeinschaft, expression que la notion de vivre ensemble traduit imparfaitement. Entre les personnes, entre les groupes, entre les personnes et les groupes, entre tous et les institutions, les règles et les principes de relations harmonieuses sont, de fait, affaiblis. Il s’agit de les repenser ou de les revitaliser.

Il faut inventer ex nihilo des consensus en phase avec la réalité d’aujourd’hui et de demain.

Thème apparemment désuet, la recherche du consensus redevient un programme s’il est encore possible de faire contrepoids au rapport de force, son adversaire historique.

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