OCTOBRE 2013 - N°21

Un exemple de sujet sensible : le débat sur la fin de vie
Un consensus par défaut ?

par Thomas CASSUTO, magistrat, docteur en droit

Le législateur, le juge, la jurisprudence, le médecin, le patient... Pas facile de construire un consensus sur un sujet aussi délicat que la fin de vie, explique Thomas Cassuto. Un sujet passionnel dont le traitement maladroit dans les médias ou dans une instance professionnelle peut conduire à la rupture du fragile équilibre entre sensibilités différentes. Or il a suffi de l’emploi de l’expression « assistance à mourir » par l’Ordre national des médecins pour rouvrir une controverse que l’on croyait éteinte depuis la loi Leonetti.


Dans son avis du 8 février 2013¹, l’Ordre national des médecins s’est prononcé sur « l’assistance à mourir » et sur l’opportunité de légiférer encore sur ce sujet. Le droit français interdit l’euthanasie, c’est-à-dire une pratique médicale visant à donner volontairement la mort à une personne qui le demande ou dont la dignité serait gravement et irréversiblement atteinte.

La loi Leonetti de 2005 a été l’occasion d’un débat sérieux. Elle a permis de fixer une ligne relativement claire et humaine tenant compte de la réalité quotidienne. Entre l’interdiction de donner la mort et l’abstinence à toute obstination déraisonnable le médecin doit trouver la voie humaine conforme à l’intérêt du patient. Il semble toutefois que ce soit la méconnaissance de ce texte qui laisse persister trop de souffrance.

Dans ce contexte, le rapport de la Commission Sicard instituée par le Président de la République ne préconise pas de réforme législative². Le médecin doit rester guidé par le principe primum non nocere. Ce rapport s’oppose à la légalisation du suicide assisté et à l’euthanasie. C’est donc avec la plus grandeprécaution qu’il faut considérer toute forme de demande exprimée en ce sens.

Ainsi, l’Académie nationale de médecine ne manque pas de relever le glissement sémantique de l’Ordre national des médecins. Pour cette dernière, la fin de vie ne peut être légitimement le résultat d’une intervention positive et délibérée du praticien.

Le juge pour sa part doit assumer sa tâche de formuler les limites dans des cas certes peu nombreux mais souvent fortement médiatisés. Du point de vue des instances médicales elles-mêmes, la jurisprudence dans ce domaine est suffisamment claire et satisfaisante. Cette question semble donc toujours faire l’objet d’un consensus sociétal. Toutefois, il est symptomatique que les rares affaires portées sur le devant de la scène médiatique suscitent une reviviscence de la souffrance des uns et de la passion des autres.

L’affirmation selon laquelle le patient doit rester maître de son corps n’est qu’une reformulation des principes énoncés ci-dessus mais avec une intention opposée : légitimer le suicide assisté. Dans un pays où le suicide atteint un niveau de mortalité préoccupant, il est bon de rappeler que la société a une obligation absolue de porter assistance à ceux qui sont en danger. Dans le prolongement des réflexions rapportées au sein même des instances de la médecine, il convient de s’écarter d’un écueil dramatique pour le patient, les médecins et la société : "le médecin, attaché à dédier son office à la vie dans le respect de la dignité humaine, se trouverait confronté à un paradoxe profondément déstabilisant s’il se voyait reconnaître la capacité légale, par un acte positif, de mettre un terme à la vie"³.

L’invocation de la mort au nom de la dignité humaine relève de l’intime absolu et transcende la compétence du législateur. La réouverture permanente du débat pour des motifs douteux ne doit pas saper le consensus législatif, médical et sociétal sous peine de le transformer en consensus par défaut.

1 http://www.conseil-national.medecin.fr/system/files/fin_de_vie_fevrier_2013.pdf?download=1

2 Penser solidairement la fin de vie, Rapport au président de la République, Commission de réflexion sur la fin de vie en France, 18 décembre 2012, http://www.elysee.fr/assets/pdf/Rapport-de-la-commission-de-reflexion-sur-la-fin-de-vie-en-France.pdf

3 Thomas Cassuto "Fin de vie: les mots et les actes" AJ pénal Avril 2013, p. 182.

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