OCTOBRE 2013 - N°21

Les voies étroites d’un « consensus minimum » pour sortir de l’immobilisme

par Emile Favard, par Emile Favard, journaliste, fondateur de la « Lettre Gestion Sociale », ancien rédacteur en chef des « Echos »

Mieux vaut une franche dispute qu’un consensus mou. Mais pour avancer, il faut bien à un certain moment parvenir au compromis qui permettra un déblocage. Or tout est fait dans notre pays pour encourager les comportements immobilistes, l’enfermement dans le bunker de ses idées, de son parti ou de sa communauté. Un exemple : tout projet nouveau est étrillé chaque jour par une coalition d’humoristes lyncheurs et d’éditorialistes donneurs de leçons. Pas de consensus sans retour au réel et sans une part de confiance et de bienveillance...


La France en mal de consensus ? D’abord, je ne pare pas le consensus de toutes les vertus et je ne le tiens pas pour le remède miracle, garant d’une résilience nationale. Sans exprimer ma perplexité à l’endroit des consensus émotionnels, sans souligner les dangers des consensus nés de soumissions consenties ou subies qui pourraient participer à une démarche totalitaire... je ne vois pas moins de « possibles » dans un conflit - ou pour le moins dans le débat - que dans un consensus. Cela dit, je sais bien que, sur le terrain, le pack de rugby qui pousse dans le même sens a davantage d’efficacité que si les équipiers tirent à hue et à dia.

Ensuite, je souhaite d’entrée faire un sort à une explication spontanée et fréquente de la difficulté des Français à se rassembler : la montée de l’individualisme serait la cause de tous les maux. Je ne le crois pas ; les Allemands et les Anglais ne sont sûrement pas moins « individualistes ». Je suis personnellement frappé de voir dans mon entourage (et au delà !) se multiplier les initiatives locales et les projets positifs. A l’évidence, l’individu français est fortement socialisé.

Mais, on ne saurait biaiser : le déficit de consensus en France, réel, a des causes qui concernent un peu tout le monde ! Le Français, ainsi est sa nature, se révèle geignard et grincheux, ce qui ne facilite guère une mobilisation des énergies. En outre, ceux qui, par fonction, ont la parole publique se révèlent davantage diviseurs que rassembleurs ; tels les pros et les amateurs de l’information dans les médias et dans les réseaux sociaux ; tels les contempteurs de la situation économique ; tels les hommes politiques et les syndicalistes.

Bien sûr, il existe des journaux qui valorisent les faits - la matière première de l’information -, qui les expliquent et les éclairent. Mais, au cours de ces dernières années, est devenue dominante une diffusion de nouvelles qui mettent l’accent sur l’émotion davantage que sur l’analyse, sur la contestation des projets davantage que sur leur présentation. Si bien que toute idée lancée est conspuée avant d’être explicitée ; les « contre » se succèdent sur les ondes, les micros-trottoirs balayent la superficialité de l’actualité. Il en ressort une impression de déliquescence de la communauté nationale.

Les observateurs avertis de la crise, au prétexte louable d’exprimer une réalité sans fard, mettent l’accent sur les reculs et les dysfonctionnements de notre économie, de notre industrie en particulier. Sans explorer les opportunités qu’une situation de crise peut susciter ; à l’instar de la danseuse : chaussée de ballerines trop petites, elle invente de nouveaux pas ! Il en ressort un maelström négatif, qui sème la peur et conduit les citoyens à se calfeutrer derrière leurs situations acquises. D’autant que l’ambition de justice sociale était mieux admise quand on pouvait rétablir des équilibres par le haut.

Les politiques et les syndicalistes ont le consensus partiel, sans référence au bien commun. Le leader politique prône un consensus partisan, celui d’une population invitée à se rallier à son panache blanc, bleu ou rouge. On a entendu un Premier ministre déclarer que « la recherche du consensus est fondamentale pour que le pays se modernise », et quelque temps plus tard, le même, relégué dans l’opposition, contester dans un pays étranger la diplomatie du chef de l’Etat. Depuis l’aube des Républiques, l’opposition fait feu de tout bois jusqu’à la démesure...

Rares sont devenus les dirigeants syndicaux qui intègrent tous les paramètres du monde des salariés, pour exprimer leurs revendications et leurs préconisations. Ceux de la CFDT et de la CFTC, sans doute, le font mieux que d’autres. Mais les plus bruyants cultivent leur seul pré carré, dans un syndicalisme catégoriel de fait. Tout cela nourrit les antagonismes et réduit les chances d’un consensus minimum...

Le consensus minimum souhaitable
Pour une pédagogie de l’aventure collective

Le consensus minimum souhaitable dans notre pays passe par un changement psychologique, par une évolution des mentalités, vers davantage de confiance les uns envers les autres. Les Français ont attrapé un mal funeste : la méfiance envers l’autre et envers l’avenir. Envers les financiers qui préfèrent les profits immédiats plutôt que de supporter et favoriser le développement de l’économie réelle ; envers « les riches » qui préfèrent l’évasion fiscale plutôt que participer à la collecte publique ; envers les étrangers qui ne s’intègrent pas à nos règles de vie ; énumération certes non exhaustive !

C’est dire si la nécessité des réformes est prégnante. Pour qu’elles suscitent l’adhésion - l’adhésion unanime est illusoire, parlons seulement d’une large adhésion, d’un consensus minimum en quelque sorte -, il convient sans doute de « combiner » les effets de quatre moteurs.

1. Le réel : il s’agit de prendre en compte la réalité, de dépasser les apparences faciles et d’expliquer la complexité.
2. La justice : c’est le préalable à tout consensus ; que nul ne se dérobe à l’effort collectif, que toute initiative ait l’équité pour pierre angulaire.
3. L’avenir : notre futur ne sera pas un clone de notre passé et c’est de neuf qu’il faut nourrir réflexions et décisions.
4. La parole : un discours et une pédagogie donneront du sens à toute aventure collective ; inlassablement, les dirigeants - du pays et des entreprises - diront et expliciteront l’objectif et le chemin pour l’atteindre.

On ne saurait être en peine pour trouver cent ou mille applications à ces quatre principes. Le réel ? Imaginons un « JT de 20 heures » qui choisirait une hiérarchisation des informations non en fonction des émotions capables de booster l’audimat de la chaine, mais liées au poids et à l’impact de l’événement, en misant sur l’intelligence des téléspectateurs. La justice ? Imaginons le recul des inégalités de revenus, en jouant du frein et de l’accélérateur, dans le business, le spectacle... et dans les métiers sociaux ou de services. L’avenir ? Imaginons davantage d’investissements au bénéfice de la jeunesse, de la formation et de toute perspective à long terme. La parole ? Imaginons une politique commentée à partir d’un fil directeur de cohérence, plutôt qu’une pluie de petites phrases disparates et anxiogènes.

« I have a dream ». Martin Luther King a commencé par exprimer le rêve de la fin du racisme avant que les droits civiques ne changent aux Etats-Unis, dans l’élan de son discours du 28 août 1963. Une part de rêve et d’utopie favorise aussi un enthousiasme consensuel. Le rêve européen a besoin d’être réanimé ; le rêve écologique besoin d’être crédibilisé ; le rêve de l’équilibre mondial besoin d’être nourri. Et le consensus minimum besoin d’un temps d’apprivoisement et d’apprentissage ; l’essentiel est d’avancer, au moins un peu...

<< Retour au sommaire Télécharger le PDF de l'article

PRES@ JE.COM

Une publication de l'Institut PRESAJE
(Prospective, Recherche et Etudes Sociétales Appliquées à la Justice et à l'Economie)
Siège social : 2 avenue Hoche 75008 Paris - Courrier : 30 rue Claude Lorrain 75016 Paris
Tél. 01 46 51 12 21 - E-mail : contact@presaje.com - www.presaje.com
Directeur de la publication : Michel Rouger

Pour ne plus recevoir d'e-mails de la part de Presaje, cliquez ici

>> CONSULTER LES PRECEDENTS NUMEROS