OCTOBRE 2013 - N°21

La politique sur le ring : quand la loi encourage et organise
l’antagonisme

par Gérard Moatti, journaliste, ancien rédacteur en chef de « L’Expansion » et de
« Sociétal »

La pratique de l’invective en politique et le combat mortel entre deux camps sont les conséquences objectives de la loi constitutionnelle constate Gérard Moatti. Notre pays se fracture au second tour de l’élection présidentielle. Le quinquennat impose aux présidentiables de taper très vite et très fort. Et la « politique spectacle » ne ferait pas recette sans d’incessantes surenchères démagogiques.


La France toujours en guerre contre elle-même, digne héritière d’une Gaule indocile et belliqueuse, la France et ses « 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement », comme disait il y a un siècle et demi Henri de Rochefort, la France querelleuse, chicaneuse, réfractaire au consensus... Cette réputation dans laquelle nous nous complaisons, peut-être parce qu’au fond, elle nous flatte, est-elle vraiment méritée ? Il suffit, direz-vous, de lire les journaux, de regarder la télévision : l’actualité hexagonale n’y est faite que de conflits, protestations, invectives...

C’est vrai, mais on peut trouver à cela deux explications : d’une part, la presse ne s’intéresse guère aux trains qui arrivent à l’heure, ni aux sujets sur lesquels tout le monde est d’accord ; d’autre part, elle consacre une grande place à la scène politique, et il est vrai que cette scène est toujours agitée. Mais est-elle le reflet fidèle de la nation ? Ou plutôt un miroir déformant ?

Regardons de l’autre côté du Rhin : l’Allemagne, pays du consensus... Cet art de la maîtrise des conflits, cette vie publique qui nous semble tranquille, dépassionnée, sont certes les fruits de l’histoire : les traumatismes du nazisme et de la guerre ont vacciné pour longtemps le personnel politique contre les excès d’agressivité et les violences verbales. Mais les institutions y sont aussi pour beaucoup : alors qu’Angela Merkel vient de triompher aux élections législatives, un mode de scrutin complexe - mi-direct, mi- proportionnel - la prive de la majorité absolue et l’obligera sans doute à gouverner avec le SPD, comme elle l’a fait entre 2005 et 2009. Même au vainqueur, les structures politiques imposent la recherche du consensus.

Chacun enfermé dans son camp

En France, au contraire, les institutions semblent avoir été calibrées pour l’exclure. D’abord l’élection présidentielle, qui oppose au deuxième tour deux candidats, représentant les deux principales formations politiques : il faut être dans un camp ou dans l’autre, et les formations qui prétendent échapper à cette dichotomie sont menacées d’étiolement, ou rapidement contraintes de se plier à la règle - comme en témoignent les tribulations du Mouvement démocrate de François Bayrou. En outre, le raccourcissement du mandat présidentiel à cinq ans, adopté par référendum en 2000, renforce l’âpreté de l’affrontement, pour trois raisons. D’abord, il rétrécit l’horizon politique, et fait vivre les personnalités « présidentiables » (ou qui se croient telles) dans un climat constant de campagne électorale. Ensuite, il impose au président élu un calendrier serré pour tenir les promesses de son programme, ce qui avive les impatiences des électeurs et les critiques du camp adverse. Enfin, parce que les élections législatives suivent de près l’élection présidentielle, il rend très improbable un scénario de cohabitation - qui impliquerait, malgré tout, une certaine modération dans le combat politique.

Le mode de scrutin des élections législatives joue dans le même sens. Uninominal, éliminant les candidats ayant obtenu au premier tour moins de 12,5% des voix des électeurs inscrits, il favorise les grands partis, et traduit les fluctuations de l’électorat en basculements brutaux. Basculements entre la gauche et la droite (les élections de 2007 ont permis à Nicolas Sarkozy, et celles de 2012 à François Hollande, de disposer de majorités absolues à l’Assemblée nationale), mais aussi au sein de chaque camp (la montée du FN divise l’UMP, et menace même sa prépondérance au sein de la droite).

Prime à la surenchère démagogique

Ce caractère radical des changements de majorité alourdit les enjeux de la lutte et influe sur le comportement des acteurs. Avant l’élection présidentielle, il encourage les surenchères démagogiques - on l’a vu lors de la campagne de 2012. Les élections passées, il est très rare qu’une mesure prise par l’équipe en place trouve grâce aux yeux de l’opposition - au sein de laquelle, en outre, s’exerce une rivalité dans la virulence des critiques - alors que, dans bien des domaines, on peutconstater une grande continuité dans les politiques effectivement mises en Ĺ“uvre.

Cet antagonisme « par construction » est-il un handicap pour le pays ? Oui, parce qu’il accélère l’usure du pouvoir et fragilise son action : pour toute réforme projetée, à la patiente recherche de consensus se substitue le test incertain des sondages - ou l’épreuve de la rue. Et aussi parce que les partis dits « de gouvernement », à force de transformer la politique en spectacle, ruinent sa crédibilité et accréditent des scénarios autrement redoutables...

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