OCTOBRE 2013 - N°21

La France dans l'ambiguïté d'un « consensus délégataire » au profit de l'Etat

par Michel Rouger, président de l'institut Presaje

La Cinquième République a eu le mérite de rendre possible l'avènement d'un pouvoir majoritaire dans un pays poussé par nature à la division et à l'affrontement. Mais la France ne se donne un chef qu'à titre provisoire. Le consensus à la française est « roublard et compliqué » explique Michel Rouger. C'est l'Etat qui, depuis Richelieu, bénéficie d'un « consensus délégataire ». Une exception française derrière laquelle se dissimule un « consensus de repli ou d'abandon » dans les périodes troubles. Comme celle que vit la France depuis vingt ans...


Consensus : vaste problème, aurait dit le général de Gaulle, plus grand spécialiste du sujet au XXe siècle… En effet, en France, le consensus apparaît impossible. Non, il suffit d'aider le peuple souverain à tempérer une nature propre aux divisions, aux dissensions, qui le pousse - selon Pierre Dac qui fut, aussi, en 1940 à Londres - à s'affirmer, dans la joie,

« Pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour ».

Ce peuple, dont tant de dirigeants voudraient changer l'image, est comme il est, un souverain qui ne se donne à un chef qu'à titre provisoire. Le général l'avait compris, qui au-delà de sa personne, éjectée deux fois, a créé le consensus populaire par lequel, depuis 55 ans, la France fonctionne avec un pouvoir majoritaire alors qu'il n'en existe aucun au sein du peuple. Pour bien comprendre, il faut sortir de l'hexagone quand on veut traiter un sujet aussi sérieux.

Le consensus politique chez nos grands voisins

Le peuple anglais pratique depuis des siècles un consensus d'intérêt propre à sa nature ilienne. Il vit un système de démocratie représentative immuable. Renouvelé énergiquement dans sa composition, il admet des débats, parfois homériques, entretenus par une presse sans connivence. Ainsi structuré, le pouvoir a révélé la force de ce consensus lorsqu'il se retrouva seul face à l'agression nazie. Comme, toutes choses égales par ailleurs, face à l'effondrement récent de son modèle financier.

Le peuple allemand, encore plus grégaire, a développé le consensus d'efforts par lequel il a accepté deux guerres totales, jusqu'au sacrifice global, la perte du tiers de son territoire, puis la réunification qui a rétabli son leadership européen. On peut comprendre ses doutes à l'égard du peuple français qui se livra en 1940 à un consensus d'abandon, au moment le plus noir de l'histoire tragique qu'ils ont partagée. Puis, depuis 20 ans, au consensus d'un repli inquiétant sur soi même.

Le vrai faux consensus à la française

Il est indéniable que la société française s'est toujours enflammée, violemment, pour affirmer ses divisions politiques, religieuses, sociales, voire ethniques. Séculaire, cette situation empêche l'émergence du consensus indispensable à un grand pays qui veut le rester. Certes, en cas d'urgence, le secours existe du consensus plébiscitaire, il a été recherché et réussi plusieurs fois, depuis Bonaparte, jamais pour longtemps. Exercice risqué, en France, il a fait perdre le goût du référendum, faute de consensus actif.

En fait, le consensus à la française, compliqué et roublard, sent bon la terre et la campagne. Démocratiquement, il est minoritaire. Le chef de l'exécutif, monarque républicain, n'arrive jamais à réunir la majorité des inscrits pour sa désignation. Par l'astuce du montage de la Vème République, le peuple accepte qu'il devienne majoritaire, non par respect ou dévotion à sa personne. Simplement pour que le système le maintienne dans un pouvoir minoritaire dont les sondages et le « bashing » de la presse et des réseaux sociaux lui rappellent chaque jour la réalité.

Les effets nuisibles de cette addiction régulée à l'anarchie, désastreuse en forme de cohabitation au sein de l'exécutif, seule formule qui trouve un consensus majoritaire dans le peuple, sont corrigés par un troisième consensus de type « délégataire ». Le peuple, depuis Richelieu, ne reconnait plus qu'un seul chef à qui donner son pouvoir, l'ETAT, dont il entretient le perpétuel développement à très grand frais, grâce à un Parlement qui ne peut plus le contrôler, tant il est devenu compliqué et omnipotent.

Ce consensus délégataire a le mérite d'empêcher l'absolutisme du monarque républicain. La haute administration de l'Etat, aidée par celle de l'Union Européenne, saura s'y opposer avec les moyens de la paralysie. Le passage au quinquennat, l'association des calendriers électoraux de l'Exécutif et du Législatif n'ont eu d'autre but que d'inscrire ce consensus délégataire dans le marbre des institutions. Sans le dire.

En effet, le risque serait grand pour l'Etat de voir le peuple profiter des exemples voisins et des technologies de la communication pour rêver à une démocratie participative qui lui redonnerait le pouvoir qu'il a délégué à la haute fonction publique. Alors, l'ETAT éternel ré-enchante le rêve du tous fonctionnaires. Tant pis pour l'incroyable complexité des corps qui s'entrecroisent et s'enchevêtrent, de leurs réseaux de relations, de leurs chapelles, de leurs nuisances et privilèges, qui bloquent la machine France. C'est pour le bien du peuple, qui le croit. Après nous le déluge disait Louis XV. Il avait vu juste.

Ce n'est pas cet aspect de ce consensus politique, certes réel, mais impassible devant les conséquences des choix qu'il entraine, qui donnera le meilleur exemple de celui qui reste à trouver. Sauf à admettre, qu'on le veuille ou non, l'effacement du pays.

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