OCTOBRE 2014 - N°24

La fatalité de l’An 15
Le choc de la deuxième décennie du siècle

par Bernard Lecherbonnier, éditeur, directeur de recherche l’Université de Paris

Avec le souvenir de 1914 et les nouvelles convulsions géopolitiques de la planète, nous avons le sentiment d’entrer pour de bon dans le XXIème siècle. Prenons garde, prévient sur un ton pince-sans rire Bernard Lecherbonnier, l’Histoire n’est pas tendre avec les années 15.


A l’orée de l’année 2015, nous nous interrogeons. Nous sommes perplexes. Où va le pays ? Où va l’Europe ? Où va le monde ? Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? Et quel avenir nous proposent nos élites, apparemment aussi déboussolées que nous ?

En étions-nous là, il y a quinze ans ? Pas tout à fait. Nous avons pris pied dans un siècle prometteur et sympathique. L’illusion n’a pas duré longtemps, tout juste vingt mois ! Ben Laden a éclaté les tours jumelles, les spéculateurs ont pillé les banques américaines et les économies nationales, les fleurs des printemps arabes ont donné des fruits amers. Et voici que la chair de l’Europe saigne en Ukraine... Et voici que des fous égorgent la démocratie...

Le XXIème siècle, le vrai XXIe siècle ne serait-il pas en train de débuter ? Les flux économiques se sont profondément modifiés en quelques années, le raz-de-marée numérique bouscule les structures de production et les modèles de distribution, de grands rééquilibrages politiques changent la face de la planète. Du monde bi-polaire au monde multi-polaire, zéro-polaire dit Laurent Fabius. Les pays émergents réclament leur part de planète. Quant à ladite planète, elle a le spleen, elle fond sous le trou d’ozone que son impéritie a foré dans le ciel. On se souvient de la phrase de Jacques Chirac à Durban : « La maison brûle et on regarde ailleurs. »

Serions-nous à la veille d’une cassure historique ? Cette rupture ne serait-elle pas en train de s’effectuer sous nos yeux, sous nos pas ?

La fatalité paraît peser sur l’An XV des siècles. En quelques mois l’histoire rebat les cartes. Un événement majeur, au milieu d’une ébullition générale, se produit à la charnière des années 14 et 15, qui annonce une nouvelle ère : la victoire de Bouvines en 1214, la mort de Philippe Le Bel en 1314, le désastre d’Azincourt en 1415, la victoire de Marignan en 1515, l’avènement de Louis XIII en 1615, la mort de Louis XIV en 1715, la chute de Napoléon en 1815, le début de la Première guerre mondiale en 1914.

Quelle que soit la nature de l’événement qui les marque, victoire ou défaite, début ou fin de règne, toutes ces périodes-charnières ont été affectées par des troubles comparables aux nôtres : crise financière, rupture économique, mutation technologique, contestation institutionnelle, conflit religieux, déstabilisation internationale, invasions et conflits armés.

Le choc de la deuxième décennie

Quand on regarde de près chaque siècle de notre histoire, on s’aperçoit que ses premières années constituent une sorte de continuation de la période précédente, puis que lors de la deuxième décennie, autour de l’An XV, le cours de l’histoire s’accélère sous le coup des crises d’où émerge une nouvelle ère historique.

Le fait de basculer dans une nouvelle ère, il faut insister sur ce point, n’a rien de dramatique. L’histoire est une succession de grandes ères telles que la Renaissance ou Les Lumières, qui ne durent qu’un temps. Le seul problème est de savoir si nous saurons gérer aussi bien que nos ancêtres la mutation contemporaine, qui nous conduit vers la civilisation que nous dirons numérique faute d’en savoir plus sur l’avenir.

Ainsi, loin de s’ouvrir dans des conditions inédites, le XXIème siècle ne fait que reproduire un schéma hérité d’une tradition séculaire.

Instructives à cet égard les grandes pages de notre histoire. Les acteurs changent de siècle en siècle, mais c’est toujours la même pièce qui se joue. Longtemps les rois en tinrent le premier rôle, la République leur a succédé. Les constantes de fond n’ont jamais changé… Il y a un monde avant et un monde après l’An XV.

La vraie question est aujourd’hui de savoir si nous saurons maîtriser l’enjeu de la mondialisation. A son sujet et pour le plaisir de conclure sur une question-piège : qui est l’auteur de cette vision anticipatrice ?

« La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière, soit… mais quelle serait une société universelle qui n‘aurait point de pays particulier ?... Et quel serait son langage ?... Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité ?... Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète. »

Aldous Huxley ? George Orwell ? Bill Gates ? Jacques Attali ? Non. Chateaubriand. Ce sont les tout derniers propos des Mémoires d’Outre-tombe écrits en … 1840.

Bernard Lecherbonnier est co-auteur avec Serge Cosseron de La fatalité de l’An XV, Editions L’Archipel, novembre 2014.

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