OCTOBRE 2014 - N°24

J’échange donc je suis

par Michel Rouger, président de Presaje

Les Français ont dans leurs gènes le goût de la dispute. Les réseaux sociaux ont poussé cette manie jusqu’à l’incandescence constate le président de Presaje. Dans un délire quotidien, la « politique spectacle » et la « politique démolition » pervertissent la démocratie et affaiblissent l’Etat.


« Un gros milliard d'individus tweetent, bloguent et facebouquinent, sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Déguisées, maquillées, leurs images sont dessinées, à gros traits, dans un carnaval planétaire où chacun prend la posture de son « second être », livré à l'échangisme intellectuel. Ces comportements, virtuels et compulsifs, annoncent le siècle des manières et des postures qui remplaceront les lumières et la culture. Zuckerberg qui vend pour exister a enterré Descartes qui pensait pour être.

Chacun sait ce que le siècle des Lumières et de la culture a apporté aux sociétés humanistes. Pour les manières et la posture, on observe quelques phénomènes sympathiques de compassion au niveau individuel, plus antipathiques de démolition au niveau sociétal, domaine favori de Presaje.

Sur l'action politique

En France, pays à 1 élu pour 100 habitants, tout est politique. Y compris les mutations technologiques. Le cinéma a créé le spectacle politique sur grand écran avec ses parades politico militaires inspirant l’adoration du chef. Puis la télévision a créé la politique spectacle sur petit écran avec les grandes messes, à prix d’or, des communicants et les « débats » enflammés par des saltimbanques cracheurs de feu. Les unes et les autres, fabriquant la séduction opérée par le chef maquillé, posturé et formaté.

Puis les réseaux sociaux ont créé, sur les tout petits écrans des smartphones, la politique démolition, spectacle inspiré par la lutte des Sumo, transposée dans le cercle virtuel et médiatique du pouvoir.

Véritable usine à fabriquer de la répulsion à base de dénigrement, la politique démolition oblige les politiciens à subir cette essoreuse médiatique dont ils ressortent en charpie. L’adoration du chef n’a plus de sens, la séduction n’a plus d’effet. Tout le monde démolit tout le monde.

Depuis 2009, an 1 du Tweet, tout acteur politique se concentre, jusqu’à l’obsession, tous les matins en se rasant, sauf les femmes, sur les objectifs et les moyens d’inspirer la répulsion du successeur, lequel n’agit plus que pour le rejet-répulsion du prédécesseur, du concurrent, voire du collègue.

Ne soyons pas cruel, laissons le lecteur apprécier. Une telle évolution rejette le modèle de développement durable sur lequel devrait reposer une écologie politique qui reste à inventer. En détruisant tout elle permettra de reconstruire, mais l’épisode 2012-2014 aura fait des dégâts irréparables.

Sur le fonctionnement de l'état.

L'Etat, à peine sorti des convulsions du milieu du XXe siècle, souffrait déjà des effets de la politique spectacle qui empêchait le politique d'y tenir la place d’autorité qui est la sienne pour le diriger et le contrôler. Certes l'ensemble de l'administration qui structure l'état reste dévouée à la nation et à son peuple, mais les enchainements entre la politique tout spectacle et la politique tout démolition ont inspiré des ambitions naturelles chez les grands serviteurs de l’Etat.

Les vocations se sont multipliées, poussant les plus aptes à se rapprocher de la cour du Monarque républicain où se distribuent les prébendes qui profitent aux séducteurs de la politique spectacle, comme les récompenses distribuées aux Sumos de la politique démolition. L'état y a perdu des serviteurs désintéressés, au point que de plus en plus de bons cerveaux posent la question : faut-il plus d'Etat, moins d'Etat, plus ou moins de politique ? Sans trop savoir par où commencer entre l’œuf et la poule.

Avec un dégât collatéral récent. Les avatars successifs de la politique réelle ont conduit les électeurs à considérer qu'il leur fallait faire protéger leur territoire par des suzerains et des vassaux qui sauraient capter l’impôt redistribué par l’Etat. Le fief et l’impôt ça sent bon la féodalité du Moyen âge, dans un pays immuable, dont la carte du découpage territorial, imaginé par son président, décalquait en 2014 celui du Royaume des Francs au début des Capétiens, mille ans plus tôt.

La démocratie d'opinion

Le tout politique et le tout état ont fait de la France le champ de bataille d'opinions, souvent surfaites, dans leurs antagonismes de fausse guerre civile. La politique spectacle offrant l’accès à la Cour, par la télé, la presse d’émotion s’y est installée, au détriment de la presse d'opinion qui n'a plus le temps ni de la réflexion, ni de la rédaction, ni de la diffusion.

Elle tend à devenir commentatrice de commentaires instantanés et incontrôlables, issus de la masse des informations déversées à longueur de journée sur le Web, aussitôt remplacées par les suivantes. La sauvegarde de la presse vivante, non virtualisée, en cours de destruction, exigera beaucoup de temps et de courage de la part de ceux qui ont conscience des conséquences de son atrophie.

Quand à la presse d’information, elle subit par la pression des nouveaux médias la manipulation des marchands étrangers qui pénètrent d’autant plus facilement sur le marché hexagonal qu’ils surfent sur l’auto- dénigrement qui caractérise les relations entre Français.

Une allusion pour conclure. Les réseaux sociaux, en quelques brèves années, ont transformé l'économie de marché en société de marché. Tout le monde achète et vend partout et tout le temps, dans des conditions de droits quasi inexistants Essentiellement au profit des grands peuples marchands, hyper vendeurs dans leurs gènes, face à des Français qui sont hyper consommateurs dans les leurs. A crédit, of course.

A suivre.

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