NOVEMBRE 2016 - N°30

Le Brexit, éphémère, la City, éternelle.

Par Pierre-Alexandre Petit, Investment Manager – Ardian Private Debt

« Cette année, l’été est arrivé dans la City accompagné d’un vent très frais loin d’être annonciateur de beaux jours »


C’est l’observation de P.A. PETIT qui a rejoint la City bien avant qu’elle soit agitée par le Brexit. Celle-ci conserve son attrait pour la vie dans ces 3 km² qui n’ont pas d’égal au monde, ni l’engagement partagé avec tous ces jeunes cosmopolites pour la réussite du « business ».

C’est vrai, ça va être dur. Mais quand on a l’âme du marchand qui y prospère depuis 20 siècles, l’esprit de la coutume qui s’y transmet depuis 10 siècles, le cœur de la religion qui défie Rome depuis 8 siècles et le cerveau qui fait vivre l’industrie et le commerce dans le monde, depuis 2 siècles, grâce à la finance de ce petit coin de Londres, on est solide.

C’est ainsi, le peuple anglais a tranché : l’article 50 doit être activé – probablement au premier semestre 2017 - et les représentants du pays planchent sur la négociation du meilleur accord possible malgré un chaos politique certain. Une fois digérée la déception pour une minorité de votants, la machine économique a pu être relancée et la marche en avant a pu reprendre, dans la nouvelle direction choisie par referendum. Or dans beaucoup de secteurs, on trépignait d’impatience après plusieurs mois d’inertie totale liée à l’incertitude ambiante.

Dans les cercles financiers, si l’on s’attendait majoritairement à ce que le referendum tourne finalement en faveur du Bremain, le scenario du Brexit avait été étudié et les conséquences anticipées avec un degré de probabilité inversement proportionnel à l’horizon de temps. Ainsi, personne n’a été surpris de voir la livre s’effondrer. Et personne ne sera surpris d’apprendre, dans 6 mois, que les plus grosses sociétés anglaises ont réalisé des revenus - convertis en livres - records en 2016 malgré le Brexit.

Personne n’a été surpris non plus par l’augmentation des achats d’actifs et par la baisse des taux directeurs annoncés par la banque d’Angleterre afin de faciliter l’accès domestique au crédit et indirectement contribuer à maintenir une livre faible qui doperait les exportations. Ces décisions, combinées à la baisse des impôts sur les sociétés, visent à mitiger à moyen terme les effets secondaires néfastes du résultat du referendum. Et l’Etat anglais peut trouver les ressources pour tenir cette politique pendant plusieurs années, par la vente d’actifs ou l’externalisation de services publics.

Jusque-là, la réponse des différents acteurs économiques a été globalement appropriée, ce qui a permis d’éviter des réactions en chaîne aux conséquences potentiellement dramatiques pour les épargnants et retraités anglais. La gestion de la liquidité du système financier au lendemain du vote, notamment par la diminution temporaire des contraintes capitalistiques pesant sur les banques, apparait comme un succès. Et si la liquidité des fonds immobiliers n’a pas encore été totalement rétablie, les craintes d’un effondrement du système semblent être partiellement dissipées.

Il faudra cependant accueillir les apparentes bonnes performances économiques qui pourraient être annoncées dans les 12 prochains mois avec beaucoup de réserves : en cas de Hard Brexit, il resterait probable que les PME et la majeure partie de la population soient impactées à long terme par de plus grandes difficultés à exporter les services et par une inflation importée via les produits manufacturés que le pays ne sait plus fabriquer.

Le principal défi à relever pour un pays qui n’est ni une puissance agricole ni une puissance industrielle (à quelques exceptions près), est que les leviers à activer à moyen terme sont en nombre très limité. Le salut devra donc venir des secteurs dans lesquels la puissance du Royaume Uni est aujourd’hui incontestée.

Ainsi, il y a fort à parier que la City jouera un rôle déterminant. D’abord par la stabilité qu’elle doit apporter – pas seulement à l’échelle britannique mais surtout à l’échelle européenne – en évitant tout mouvement de panique puisqu’un risque systémique existe toujours, bien que ne tenant plus seulement de la robustesse du bilan des banques comme en 2008. Ensuite parce que, même une fois le divorce entériné, l’Europe de la finance continuera de regarder vers Londres afin d’y trouver les ingrédients essentiels à sa puissance.

Ces ingrédients sont évidemment matériels par la densité des infrastructures financières et des réseaux professionnels de la City mais ils sont aussi culturels dans la mesure où le cynisme anglo-saxon semble, au regard de l’histoire des places financières mondiales, être un catalyseur indispensable. Ajoutez à cela un peu d’exubérance latine puis équilibrez le tout avec une pointe de conservatisme d’inspiration germanique et vous aurez réuni l’ensemble des conditions nécessaires à une industrie financière à la fois innovante et résiliente. Elle en aura besoin pour résister aux aléas de la vie politique et médiatique.

Il n’est pas étonnant que la ville de Londres ait enregistré l’un des scores les plus élevés en faveur du Bremain : la City constitue un réel pont culturel entre le monde anglo-saxon et l’Europe continentale, ou plutôt les Europes continentales. Et tant que ce lien existera, la finance européenne aura de beaux jours devant elle.

La conclusion qui met l’Europe continentale au pluriel permet de bien comprendre quels leviers la CITY utilisera pour affirmer son rôle, celui dont les Brexiters auront tant besoin.

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